Depuis plusieurs jours, la situation humanitaire semble se dégrader très nettement dans plusieurs villes d'Ukraine. Encerclées par les troupes russes, les cités de Marioupol (sud), Soumy (nord) et Kharkiv (nord-est) sont la proie de bombardements de plus en plus intensifs.
Pour évacuer les civils, la création de couloirs humanitaires dans plusieurs régions du pays est en discussion entre les parties ukrainiennes et russes. Lundi, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a toutefois accusé l'armée russe d'avoir fait échouer les négociations en minant certaines routes de sortie ou en créant des couloirs en direction... de la Russie.
Dans certaines villes comme Kharkiv, mais plus encore Soumy, c'est la situation des étudiants internationaux et plus spécialement des Indiens, qui a failli tourner au cauchemar diplomatique pour le Kremlin. On le sait sans doute peu en Europe occidentale, mais l'Ukraine compte en effet une forte communauté d'étudiants en provenance d'Inde.
Des études plus accessibles
Selon des données compilées par l'Unesco, l'Ukraine dénombrait plus de 60'000 étudiants étrangers sur son sol en 2020. La grande majorité venaient d'Inde, avec 14'000 jeunes hommes et jeunes femmes recensés.
Pour ces étudiants, l'attrait de l'Ukraine porte avant tout sur les conditions d'admission. Les cursus universitaires, réputés de qualité, sont en effet beaucoup plus accessibles qu'en Europe de l'Ouest. Les bonnes installations médicales du pays séduisent aussi les étudiants étrangers, inscrits majoritairement dans les facultés de médecine.
Jusqu'à mardi, l'Université d'Etat de Soumy abritait encore quelque 1700 étudiants étrangers, alors que la ville est sous les bombes. Souvent à peine âgés de 18 ans, ils étaient logés dans les dortoirs du campus, mais dans des conditions extrêmes: l'eau et la nourriture venant à manquer.
Interviewé par le quotidien britannique The Guardian mardi matin, un coordinateur de l'université indiquait que les élèves, piégés dans la ville assiégée, étaient contraints de boire et de se laver avec de faibles quantités d'eau.
"Chaque jour, ils espèrent pouvoir être évacués. Puis comme ça n'arrive pas, ils sont de plus en plus déprimés et perdent tout espoir. Certains étudiants commencent à avoir de graves problèmes psychologiques. La nuit, ils pleurent ou font les cent pas", racontait Renish Joseph.
La lumière au bout du tunnel
Dans une vidéo publiée samedi sur Instagram, un groupe d'étudiants indiens indiquait avoir pris la décision de quitter Soumy. "Nous avons peur, nous ne pouvons pas attendre plus longtemps. Nous risquons nos vies, nous nous dirigeons vers la frontière. Si quoi que ce soit nous arrive, le gouvernement et l'ambassade indienne seront responsables", lance une étudiante.
La situation s'est toutefois débloquée pour les jeunes Indiens au cours des dernières heures. Des dizaines de bus ont pu être affrétés pour leur permettre de quitter la ville. "Je suis heureux d'annoncer que nous avons pu évacuer tous les étudiants indiens de Soumy. Ils sont en route vers Poltava, d'où ils embarqueront dans des trains en destination de l'ouest de l'Ukraine", a déclaré sur Twitter Arindam Bagchi, le porte-parole du Ministère indien des Affaires étrangères.
Un étudiant indien avait été tué mardi dans un bombardement, l'Inde pressant Moscou et Kiev d'assurer un passage sûr.
New Dehli, un partenaire fiable pour Moscou
En Inde, ce dénouement arrive à point nommé pour le gouvernement de Narendra Modi. Le Premier ministre était en effet sous le feu des critiques après avoir exprimé son mécontentement, en estimant que ces étudiants et étudiantes n’auraient pas été dans cette situation s’ils avaient préféré étudier en Inde.
Une aberration pour de nombreux citoyens qui ont rappelé au chef d'Etat que c’était justement un processus de sélection trop exigeant qui avait poussé ces étudiants à quitter le pays pour étudier la médecine, alors même que l’Inde manque cruellement de docteurs.
Pour Vladimir Poutine également, cette évacuation doit sans doute être une bonne nouvelle. New Dehli demeure l'un des rares partenaires fiables de Moscou depuis le début de l’invasion. Avec la Chine, le gouvernement indien reste en effet l’un des seuls à s’être abstenu lors des votes onusiens pour sanctionner la Russie. Il est difficile d’imaginer à quel point les relations russo-indiennes auraient pu se dégrader si de nouveaux étudiants indiens avaient été victimes des bombardements russes.
Guillaume Martinez et Tristan Hertig
Des étudiants africains aussi évacués
A Soumy, des centaines d’étudiants africains, originaires de la République démocratique du Congo, du Nigeria ou encore de Tanzanie, ont aussi pu profiter du couloir humanitaire ouvert en direction de la ville ukrainienne de Poltava.
Selon des sources locales, certains d’entre eux avaient déjà fait le choix d’emprunter un chemin "sécurisé" vers la Russie alors que d'autres avaient refusé de partir en direction du pays agresseur.
Il reste cependant impossible dans l’immédiat de savoir si l’ensemble des étudiants internationaux ont pu être évacués de Soumy.
A Kharkiv non plus, il n’était pas possible de vérifier si des étudiants internationaux avaient pu quitter la ville. Toutefois, aucun couloir humanitaire menant vers une autre région ukrainienne n’était ouvert à la mi-journée, ce qui laisse à penser que certains d’entre eux sont encore piégés au milieu des bombardements.