Selon plusieurs responsables américains consultés par l'AFP, l'armée américaine a compris dès le mois d'octobre que les mouvements de troupes russes à la frontière ukrainienne, présentés par Moscou comme des exercices, n'étaient "pas normaux", le dispositif militaire nécessaire à des exercices n'étant pas le même que celui d'une invasion.
Le Pentagone informe alors la Maison Blanche de ses inquiétudes et les services de renseignements américains se mettent immédiatement au travail pour tenter d'en savoir plus. Certains des conseillers du président américain sont dubitatifs, mais Joe Biden prend immédiatement l'affaire très au sérieux.
>> Relire : Pour Washington, Moscou veut créer un prétexte pour attaquer l'Ukraine
Une demi-douzaine de colonels de la direction du renseignement de l'état-major américain scrutent alors les informations reçues des analystes de la CIA et des services des écoutes de la NSA, l'agence de renseignement militaire, pour deviner le plan d'attaque des forces russes.
Leur travail aboutit en janvier à l'élaboration d'une carte de la région qui prévoit avec une précision étonnante les axes d'attaque de l'armée russe, depuis le nord sur Kiev, depuis l'est sur Kharkiv, et depuis le sud sur Marioupol.
Divulgation d'informations en masse
Désireuse de prévenir le conflit, et pour neutraliser des tentatives de désinformation russe qu'elle anticipe, l'administration de Joe Biden prend rapidement la décision de révéler au grand public un volume inhabituel d'informations classées secret défense.
Début février, des journalistes sont invités à rencontrer de hauts responsables du renseignement qui parlent rarement à la presse. Ils apprennent que la Russie accentue les préparatifs d'une invasion à grande échelle de l'Ukraine.
On leur montre une carte avec les mouvements de troupes russes prévus. On leur donne même une date: mi-février, après la fin des Jeux olympiques. Le scénario publié ce jour-là par les médias du monde entier est accueilli avec scepticisme en Europe.
Des affirmations crédibilisées
Cette stratégie de divulguer un maximum d'informations sur les plans du Kremlin aura toutefois permis d'éviter de répéter le scénario de 2014, où la Russie avait gagné la bataille de l'information sur l'annexion de la Crimée. Les divulgations des renseignements américains auront aussi permis d'informer une partie de la population russe. Des oligarques, des athlètes et même des journalistes de médias contrôlés par Moscou se sont exprimés contre cette guerre.
>> Lire aussi : Entre glorification et désinformation, la guerre en Ukraine est aussi communicationnelle
Dans cette logique de "partage" des renseignements, les images satellites de compagnies privées sont utilisées comme jamais auparavant et permettent au grand public d'avoir accès à des informations généralement classifiées. Cela aide à crédibiliser les affirmations des Etats-Unis et à dépasser la méfiance accrue que suscitent les renseignements américains depuis la guerre en Irak en 2003.
>> Lire aussi : Les images satellite privées pèsent comme jamais dans le conflit en Ukraine
Quelques approximations
Les analystes américains ont toutefois commis quelques erreurs d'appréciation. Ils n'avaient pas prévu la résistance féroce des Ukrainiens et la détermination du président Volodymyr Zelensky, dont le courage a galvanisé la population. Ils craignaient que Kiev ne tombe en 48 heures et que Volodymyr Zelensky ne soit immédiatement déposé pour être remplacé par un régime pro-russe.
Le renseignement américain craignait aussi de voir l'armée ukrainienne paralysée par une cyberattaque russe dès le début du conflit. Or Kiev a modernisé son armée, mais n'a pas eu le temps de moderniser ses avions, qui datent de l'époque soviétique et utilisent le même système de communication radio que l'armée russe. La Russie ne peut donc pas paralyser l'armée ukrainienne, car elle paralyserait sa propre armée...
asch avec afp
Dizaines de milliers de morts prédits
Les services de renseignement avaient prévenu que le conflit aurait un coût humain considérable, avec le risque de provoquer la mort de 25'000 à 50'000 civils, 5000 à 25'000 soldats ukrainiens et 3000 à 10'000 soldats russes. Ils évoquaient le chiffre de 1 à 5 millions de réfugiés, principalement vers la Pologne.
Après 14 jours de combat, le Pentagone évalue déjà le nombre de morts russes entre 2000 et 4000, et plus de 2 millions de réfugiés ukrainiens ont déjà fui le pays.