Principal rendez-vous démocratique de la vie politique française, l'élection présidentielle peine à trouver sa place au coeur des débats. D'abord marquée par le désintérêt de la population et par la volatilité de ses choix, la campagne a ensuite été paralysée par la crise sanitaire. Elle est désormais bouleversée par l'invasion russe de l'Ukraine.
"Pour l'instant, la campagne n'a toujours pas commencé. Le temps disponible dans les médias et dans les esprits pour la campagne électorale est extrêmement réduit", observait le politologue et sondeur Jérôme Sainte-Marie, dans l'émission Tout un monde, évoquant même "une forme de drame démocratique".
Avantage Macron
A un mois du premier tour, qui aura lieu le dimanche 10 avril, le président Emmanuel Macron s'est envolé dans les sondages, à près de 30% des intentions de vote, depuis l'officialisation de sa candidature dans une "Lettre aux Français" publiée dans les quotidiens régionaux et mise en ligne jeudi 3 mars au soir.
Il y a "un effet de la crise ukrainienne sur la remobilisation des électeurs", dont bénéficie logiquement le chef de l'Etat, commente auprès de l'AFP Jérémie Peltier, directeur des études à la Fondation Jean Jaurès basée à Paris. En perte de vitesse, la candidate de la droite, Valérie Pécresse (Les Républicains), constate elle aussi "un réflexe légitimiste à l'égard du président de la République", déplorant que "la guerre en Ukraine écrase tout".
Trois candidats - Mélenchon, Zemmour et Le Pen - traînent leur dialogue avec la Russie comme un boulet.
Porté par son implication face à l'invasion russe en Ukraine, le président français bénéficie aussi de sa position "plutôt médiane", estime Jérôme Sainte-Marie, qui préside la société d'études et de conseil PollingVox. "Il est loyal par rapport à l'Otan, par rapport à l'Union européenne, mais il n'adopte pas la posture va-t-en-guerre. Ce n'est pas un nouveau Tony Blair que nous aurions à la tête de l'Etat. Il se met en scène dans ses tentatives de dialogue avec la Russie tant et si bien qu'il n'offre pas de prises à l'opposition sur ces dossiers-là", analyse-t-il.
Zemmour en difficulté
Une relation à Moscou habilement gérée par le chef de l'Etat candidat alors que, sur l'Ukraine, les oppositions convergent avec le pouvoir pour condamner l'invasion russe. Mais dans ce contexte très émotionnel, la sympathie passée ou présente avec le Kremlin est devenue une épine dans le pied pour trois des douze candidats à la présidentielle.
A gauche, le leader de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, s'est rapidement distancé de Vladimir Poutine le 24 février. Sa dynamique plus modeste qu'en 2017, où il avait engrangé 19,6% des voix au premier tour, font douter qu'il puisse incarner le vote utile à gauche.
Eric Zemmour est un homme de médias qui a beaucoup privilégié les coups médiatiques. Il a peut-être un peu négligé la campagne de terrain.
A l'autre bout du spectre politique, Eric Zemmour voit de son côté sa campagne stagner depuis plusieurs semaines. Le candidat de la Reconquête! paie un lourd tribut pour ses positions pro-Poutine. En 2018, le polémiste avait même déclaré "rêver d'un Poutine français" dans un entretien à L'Opinion. Interrogé sur cette déclaration sur France 2, il a assuré "avoir voulu dire que Poutine est un véritable patriote. Nous avons besoin d'un président patriote à la tête de la République française".
L'enjeu franco-français
Dans le camp des patriotes, Marine Le Pen doit elle aussi composer avec la nouvelle réalité géopolitique. Le Vladimir Poutine d'aujourd'hui n'est "pas celui" qui l'avait reçue à Moscou en 2017, s'est justifiée la candidate du Rassemblement national (RN), critiquée pour une photo immortalisant sa rencontre avec le président russe et présente sur des tracts de campagne imprimés de longue date.
Si le parti aurait depuis ordonné la destruction de ceux qui n'avaient pas encore été distribués, Marine Le Pen semble désormais surtout chercher à imposer d'autres thèmes de campagne, elle qui se pose en défenseure du peuple. "Si le président de la République, par stratégie, essaye de passer au-dessus des réponses qu'il doit aux Français sur ces sujets (inflation, insécurité, immigration, emploi, retraites etc, ndlr), je crois qu'il commet une véritable erreur et qu'il est déconnecté, encore une fois, de l'attente forte du peuple", déclarait-elle début mars au Salon de l'Agriculture.
Car l'onde de choc de la guerre en Ukraine se fera sentir bien au-delà du terrain humanitaire, sur les prix des denrées alimentaires et de l'énergie notamment. Or, ces sujets sont particulièrement sensibles en France. L'augmentation du prix du carburant avait déclenché la crise des Gilets jaunes et la colère couve toujours parmi les couches de la population qui se sentent marginalisées, celles-là même que vise Marine Le Pen. C'est donc bel et bien autour de cet enjeu franco-français que se jouera la bataille du premier tour avec une probabilité - à ce stade - élevée de revivre le scénario de 2017 avec un face-à-face entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen.
Juliette Galeazzi
Les candidats croisent le fer à distance
Huit des 12 candidats à la présidentielle dont Emmanuel Macron ont confronté leurs idées lundi soir mais les uns après les autres, pour la première grande soirée électorale largement consacrée à la guerre en Ukraine, à 26 jours du premier tour.
Relations avec Vladimir Poutine, place de l'Europe, énergie et carburants, pouvoir d'achat, retraites: un à un, à tour de rôle, les huit prétendants à l'Elysée ont égrené dans une atmosphère policée leurs propositions pour faire face à la crise actuelle, dans ce débat télévisé au format inédit où les candidats ne se sont jamais croisés ni ont échangé directement.