Dans le centre de Lviv, grande ville de l'ouest pour l'instant épargnée par les combats, les innombrables statues sont désormais enveloppées de mousse, de bâches protectrices et de tissus anti-feu pour les préserver d'une éventuelle attaque. Les vitraux des églises ont été recouverts, un autel descellé et caché.
Des centaines de sacs de sable ont été empilés autour d'un monument rendant hommage au duc de Richelieu, fondateur d'Odessa, avant d'intenses combats annoncés dans cette métropole du sud à la riche histoire.
Monuments du XIe siècle
Car ailleurs les bombardements n'ont pas épargné les vieilles pierres. Kharkiv (nord-est), la deuxième plus grande ville ukrainienne, et Tcherniguiv, près de Kiev, ont vu leurs centre-villes ravagés par les bombes russes.
"Certains comportent des sites et des monuments qui datent du XIe siècle", regrette Lazare Eloundou Assomo, le directeur du centre du patrimoine mondial de l'Unesco, interrogé par l'AFP.
Et d'énumérer des musées endommagés, "certains avec des collections à l'intérieur" mais aussi "des lieux culturels et de spectacles". "C'est toute une vie culturelle qui risque de disparaître, même quelquefois toute une Histoire", pas seulement celle de l'Ukraine mais "un peu une partie de l'Histoire de l'humanité".
Une quarantaine de sites déjà endommagés
D'après Ihor Poshyvailo, le directeur du musée de Maidan à Kiev, qui coordonne une initiative citoyenne visant à protéger le patrimoine ukrainien, environ 40 sites ou monuments ont été endommagés dans le pays lors des deux premières semaines de conflit.
Pour éviter davantage de dégâts, l'Unesco et le gouvernement ukrainien ont mis en place un ciblage des principaux sites via un "bouclier bleu" pour "éviter leur destruction en temps de guerre".
Ce marquage, qui prend la forme d'un blason bleu et blanc, a déjà démarré à Lviv, qui figure au patrimoine mondial de l'humanité, comme six autres sites ukrainiens.
Patrimoine protégé par l'ONU
Quelque 17 autres lieux, dont les centre-villes d'Odessa ou de Tcherniguiv, apparaissent eux dans une liste "indicative" de l'Unesco. Kiev doit à terme présenter leur candidature afin qu'ils intégrent le Patrimoine mondial onusien.
Les autorités sont "en train d'imprimer des bâches à mettre devant les monuments, sur les toits ou les façades", afin que l'armée russe s'abstienne de les bombarder, explique un diplomate actif au sein de l'Unesco.
Ce "bouclier bleu" fait partie d'une convention signée en 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, dont la Russie est signataire. Outre la préservation espérée de ces lieux, la mesure doit également servir d'instrument de contrainte pour les belligérants.
En 2016, un djihadiste malien a été condamné à neuf ans de prison pour la destruction de mausolées protégés, et indiqués comme tel, à Tombouctou.
"Si nous faisons tout pour protéger notre patrimoine, la Russie devra payer pour chaque destruction", affirme Olga Ganenko, une diplomate ukrainienne auprès de l'Unesco. Et d'espérer que Moscou soit mise "face à ses responsabilités".
Stratégie "très controversée"
La stratégie est pourtant "très controversée", selon Ihor Poshyvailo, qui craint que les monuments marqués en bleu deviennent au contraire "des cibles délibérées" des troupes russes. Car "la Russie ne souhaite pas détruire les musées" en tant que tels, elle "veut détruire notre mémoire historique et notre identité culturelle en tant que nation", déplore-t-il.
L'analyse est identique pour Jasminko Halilovic, le fondateur du musée pour L'enfance en guerre de Sarajevo, qui avait ouvert une branche en Ukraine.
"Si l'une des parties attaque des écoles et des hôpitaux, des enfants, il est très déraisonnable de penser qu'elle ne s'en prendra pas au patrimoine culturel", estime-t-il. Durant le siège de Sarajevo, qui dura près de quatre ans entre 1992 et 1996, tous les lieux de culture avaient selon lui été détruits "délibérément" par la partie serbe.
Et d'observer: "si vous essayez de détruire une communauté, l'une des choses que vous ciblerez est définitivement son patrimoine culturel, car il dit d'un peuple qui il était, ce qu'il est et ce qu'il est appelé à devenir."
De plus, les ministres européens de la culture "constatent les menaces et les graves dommages qui touchent le riche patrimoine de l'Ukraine".
afp/vajo