Des analystes considèrent que le patriarche Kirill, à la tête de l'Eglise orthodoxe russe, est plus important pour le président Vladimir Poutine que son Premier ministre Mikhail Mishustin. Selon Kathy Rousselet, directrice de recherche à Sciences Po Paris, le président russe utilise la tradition religieuse pour essayer de créer une unité populaire.
"Vladimir Poutine a le souci de mettre en avant une voie politique spécifique pour la Russie, les valeurs dites traditionnelles du pays. Et c'est là que tout le discours du patriarche Kirill sur les valeurs traditionnelles est utilisé. Cette religion orthodoxe apparaît comme une façon de s'opposer à l'Occident sécularisé, décadent, et aux valeurs libérales. La religion permet l'inscription dans une tradition qui légitime le pouvoir politique", explique-t-elle samedi dans Forum.
Récemment, Kirill a affirmé que le conflit avait une dimension "métaphysique". Le patriarche soutient donc l'invasion russe en Ukraine.
Des religieux russes réduits au silence
"Vladimir Poutine a toujours voulu contrôler l'étranger proche de la Russie, et les patriarches, Alexis II puis Kirill, ont toujours cherché à maintenir le territoire canonique de leur Eglise, l'Ukraine en faisant partie", poursuit Kathy Rousselet.
"Or ce territoire canonique a été ébranlé par l'effondrement de l'Union soviétique et l'émergence de nouveaux Etats-nations. Dès le début des années 1990, des Eglises orthodoxes qui se sont prononcées contre le patriarcat de Moscou ont émergé, et ce schisme est considéré comme partie intégrante du conflit politique."
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Dans son discours du 21 février, Vladimir Poutine a accusé Kiev de réprimer l'Eglise orthodoxe ukrainienne, sous la houlette de Moscou. Une référence aux tensions entre cette Eglise, rattachée au patriarcat de Moscou, et l'Eglise orthodoxe d'Ukraine autocéphale, reconnue par le patriarcat de Constantinople.
Tous les religieux russes n'ont cependant pas le même avis que le patriarche Kirill. "En Russie, des évêques ont appelé à un élan de solidarité envers les populations qui fuient la guerre, mais il devient effectivement très dangereux pour les prêtres d'appeler à la paix", rapporte Kathy Rousselet. "Une pétition contre la guerre a commencé à circuler le 1er mars. De nombreux prêtres l'ont signée, mais selon des sources bien informées, ces prêtres sont rappelés à l'ordre par leurs évêques."
Pauline Rappaz/iar
Prudence des églises orthodoxes romandes
En Suisse romande, les églises orthodoxes russes de Vevey, Genève et Berne - rattachées à l'Eglise orthodoxe russe à l'étranger, basée à New York - prônent la paix et se disent apolitiques. Il est nécessaire selon elles de séparer l'Eglise et l'Etat.
Pour le protodiacre Michel Vernaz, le but d'une Eglise est de maintenir la paix sociale. Ces églises ont lancé des collectes de dons et de matériel. L'institution de Berne a notamment envoyé des cargaisons de vêtements, d'aliments et de produits de première nécessité en Moldavie.
A l'église orthodoxe de Sion, rattachée elle au patriarcat de Moscou, on tient le même discours: on prie pour la paix, car la guerre est un "grave péché".
Pour l'Archimandrite Martin, "il est crucial que les gens trouvent dans ces églises des espaces où ils se sentent libres, non jugés et non discriminés, quelles que soient leur origine ou leurs opinions".