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L'égérie anti-guerre russe libérée, mais toujours menacée de prison

Intrusion au téléjournal le plus regardé de Russie pour dire non à la guerre en Ukraine
Intrusion au téléjournal le plus regardé de Russie pour dire non à la guerre en Ukraine / 12h45 / 1 min. / le 15 mars 2022
L'employée d'une chaîne de télévision russe qui a fait irruption pendant un journal télévisé pro-Kremlin pour dénoncer l'offensive en Ukraine a été libérée mardi avec une simple amende, après son arrestation qui a suscité une indignation internationale.

Marina Ovsiannikova risque néanmoins toujours des poursuites pénales passibles de lourdes peines de prison, aux termes d'une récente loi réprimant toute "fausse information" sur l'armée russe.

Cette femme de 43 ans s'est illustrée en faisant irruption en direct lundi soir pendant le journal télévisé le plus regardé de Russie, sur la chaîne Pervy Kanal, où elle est productrice, avec une pancarte critiquant l'opération militaire de Moscou en Ukraine et dénonçant la "propagande" des médias contrôlés par le pouvoir.

Alors que la célèbre présentatrice Ekaterina Andreïeva est en train de parler, la productrice surgit derrière elle avec une pancarte sur laquelle on peut lire "Non à la guerre. Ne croyez pas la propagande. On vous ment, ici".

"Les Russes sont contre la guerre", peut-on encore lire sur la pancarte sur laquelle le drapeau de l'Ukraine et celui de la Russie sont dessinés. Imperturbable, la présentatrice continue de parler quelques secondes pendant que la protestataire scande "arrêtez la guerre", puis la chaîne s'empresse de diffuser un reportage sur les hôpitaux, mettant fin au direct sur le plateau.

Les images de ce geste ont fait le tour du monde, nombre d'internautes saluant un acte d'un "courage extraordinaire", dans un contexte de répression de toute voix critique en Russie.

>> La séquence telle que diffusée sur la chaîne russe Pervy Kanal :

Une manifestante anti-guerre interrompt le journal télévisé russe
Une manifestante anti-guerre interrompt le journal télévisé russe / L'actu en vidéo / 14 sec. / le 15 mars 2022

Mardi, un tribunal de Moscou l'a reconnue coupable d'avoir commis une "infraction administrative" et l'a condamnée à payer une amende de 30'000 roubles (environ 250 euros au taux actuel), selon une journaliste de l'AFP présente dans la salle.

"Très difficile"

Après l'audience, pendant laquelle elle a refusé de reconnaître sa culpabilité, Marina Ovsiannikova a dit vouloir "se reposer" après cette épreuve "très difficile".

"Il s'agit de jours très difficiles dans ma vie, j'ai passé près de deux jours sans sommeil, l'interrogatoire a duré 14 heures", a-t-elle dit dans une brève déclaration à la presse.

"Je n'ai pas eu le droit de parler avec mes proches, ni eu accès à une assistance juridique, et c'est pourquoi j'étais dans une position très difficile", a-t-elle ajouté. "Aujourd'hui, je dois me reposer".

De fait, le plus dur pourrait être encore à venir pour la nouvelle égérie des opposants russes à l'opération militaire de Moscou en Ukraine.

L'audience de mardi n'était en effet pas directement consacrée à l'action de Marina Ovsiannikova sur Pervy Kanal, mais à une vidéo diffusée parallèlement sur internet dans laquelle elle dénonce l'entrée des troupes russes en Ukraine.

"Honte" et "mensonges"

Dans une vidéo enregistrée préalablement et publiée par OVD-Info, elle explique en effet que son père étant ukrainien et sa mère russe, elle n'arrive pas à voir les deux pays comme ennemis.

"Malheureusement, j'ai travaillé pour Pervy Kanal ces dernières années, faisant de la propagande pour le Kremlin. J'en ai très honte aujourd'hui", dit-elle. "J'ai honte d'avoir permis que des mensonges soient diffusés à la télévision, honte d'avoir permis que le peuple russe soit 'zombifié'". Depuis, elle a reçu sur son compte Facebook des dizaines de milliers de messages de soutien.

"En faire un exemple"

"Une enquête interne est en train d'être menée" sur cet "incident", a laconiquement déclaré peu après l'incident la chaîne Pervy Kanal dans un communiqué. Le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a lui qualifié mardi cette protestation d'acte de "hooliganisme".

Selon l'agence de presse Tass, la jeune femme pourrait être poursuivie pour avoir "discrédité l'utilisation des forces armées russes". Le pouvoir a en effet fait voter récemment plusieurs lois prévoyant de lourdes peines pouvant aller jusqu'à 15 ans de prison pour la diffusion de ce que les autorités considèrent comme de "fausses informations" sur l'armée. La simple utilisation du mot "guerre" par des médias ou des particuliers pour décrire l'intervention russe en Ukraine est passible de poursuites.

"Je présume que ma cliente encourt une procédure pénale et non pas administrative en vertu de la nouvelle loi qui prévoit jusqu'à 15 ans de prison", a confirmé mardi son avocat Daniil Berman. "Il y a une forte probabilité que les autorités en fassent un exemple pour faire taire d'autres protestataires", a-t-il ajouté, soulignant qu'il n'a toujours pas pu rencontrer sa cliente ni savoir où elle est détenue exactement. Les autorités russes, pour l'heure, n'ont pas indiqué quels chefs d'inculpation pourraient la viser.

>> Le suivi de la guerre en Ukraine : Situation humanitaire dramatique à Marioupol, où l'aide peine à arriver

agences/gma/vic

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Pluie d'applaudissements à travers le monde

Le chef de la diplomatie de l'Union européenne Josep Borrell a salué mardi par l'intermédiaire d'un porte-parole le geste de Marina Ovsiannikova, s'inquiétant qu'elle ait "disparu" et que ses avocats "ne soient plus autorisés à la contacter".

"Elle a pris une position morale courageuse et osé s'opposer aux mensonges et à la propagande du Kremlin en direct sur une chaîne de télévision contrôlée par l'État", a déclaré ce porte-parole, qualifiant le patron de cette chaîne de "l'un des propagandistes en chef du régime".

Protection diplomatique offerte par la France

Le président français Emmanuel Macron a pour sa part affirmé que la France était prête à offrir une protection diplomatique à la journaliste russe, "soit à l'ambassade, soit en lui accordant l'asile", a-t-il annoncé mardi, réclamant à Moscou "toute la clarté" sur sa situation.

Il entend proposer cette solution de manière directe lors de son prochain entretien avec Vladimir Poutine.

L'exode précipité des journalistes russes

Cette scène inouïe sur la télévision russe rappelle en creux la situation des journalistes russes empêchés de faire leur travail librement. Plusieurs d’entre eux ont fui Moscou depuis le déclenchement de la guerre. Ils ne voient plus d'avenir à leur profession dans le pays de Vladimir Poutine, alors que le journalisme indépendant y est plus criminalisé que jamais.

Après avoir quitté la Russie, une petite partie d’entre eux font escale en Turquie, d’où ils espèrent rejoindre l'Europe pour continuer à travailler.

"J’étais chez moi vers 20h quand j’ai appris que notre site était bloqué. J’ai pleuré, mais j’espérais encore qu’on pourrait continuer notre diffusion sur YouTube. Je n’aurais jamais cru devoir quitter la Russie si vite. Je pouvais envisager de le faire un jour parce que la situation était déjà très mauvaise, très tendue. Mais jamais je n’aurais pensé que ça me prendrait 5 minutes d’acheter un billet d’avion", raconte Valeria.

>> Le reportage de Tout un monde :

Des quotidiens russes unissent leur Une pour soutenir un journaliste arrêté. [Reuters - Shamil Zhumatov]Reuters - Shamil Zhumatov
Empêchés de faire leur travail librement, plusieurs journalistes russes ont fui leur pays / Tout un monde / 5 min. / le 15 mars 2022