Des milliers de particuliers, en Suisse, en France ou encore en Allemagne, se sont portés volontaires pour accueillir des Ukrainiens chez eux. Au Portugal, un stade de foot a été réaménagé pour héberger des familles en exil. Un mécène soleurois a aussi affrété un avion pour ramener en Suisse 150 personnes, principalement des enfants. On ne compte plus les initiatives privées ou publiques pour venir en aide aux Ukrainiens qui fuient la guerre.
Plus de 3 millions de personnes ont déjà quitté le pays face à l'offensive russe, déclenchée le 24 février dernier. Elles pourraient être bientôt 5 millions, selon Josep Borrell, haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères. C'est la plus forte et rapide vague migratoire depuis la Deuxième Guerre mondiale. Un drame humanitaire qui a soulevé un immense élan de solidarité dans une Europe qui s’est souvent déchirée sur la question de l’accueil des réfugiés.
Des réfugiés comme les autres
L'Union européenne et la Suisse ont adopté des mesures inédites. Les Etats de l'UE ont activé pour la première fois une directive vieille de 20 ans qui accorde un statut de protection temporaire aux personnes fuyant l’Ukraine. Elles recevront un permis de séjour d’un an renouvelable, leur donnant accès au marché du travail, aux soins et à la scolarité. Berne a aussi décidé de faciliter l'accueil des personnes fuyant l'Ukraine, en leur accordant le statut de protection S, une première depuis sa création en 1990. Ils pourront recevoir une autorisation de séjour sans devoir passer par une procédure de demande d'asile ordinaire.
Pour Olivia Rutazibwa, professeure assistante à la London School of Economics and Political Science (LSE) et invitée de Géopolitis, cette crise permet une prise de conscience en Europe par rapport à la situation des réfugiés, quel que soit leur pays d'origine: "On comprend des choses maintenant avec les réfugiés d'Ukraine. C'est très important de se dire qu'il n'y a rien de spécial par rapport à leur situation, mais que chaque personne qui fuit de chez elle passe par les mêmes défis et n'a pas forcément envie d'être chez nous." Selon cette chercheuse spécialisée dans les politiques des droits humains, l'immense soutien apporté par les citoyens européens mais aussi par les Etats aux réfugiés ukrainiens marque un tournant. "On a vu que, politiquement, on est capable d'accueillir des gens", souligne-t-elle, alors que dans le débat sur les questions migratoires, l'idée que l'Europe ne peut pas accueillir tout le monde est souvent avancée.
La valeur d'une vie
Mais si elle salue l'immense solidarité et l'empathie des Européens face à la crise humanitaire que traverse l'Ukraine, Olivia Rutazibwa s'inquiète aussi de voir "comment le racisme se répète et se reproduit même au moment de conflits". "On voit quand même qu'on continue à avoir des hiérarchies dans la vie, des vies qui valent plus que les autres", estime la chercheuse.
Dans l’évacuation chaotique des milliers de personnes fuyant l’Ukraine, dans les jours suivants le début des frappes russes, plusieurs étudiants étrangers ont dénoncé les conditions de leur départ du pays. Certains ont signalé avoir été victimes de comportements discriminatoires par rapport aux citoyens ukrainiens.
L'exemple de la crise migratoire de 2015 est aussi souvent cité, en comparaison avec la situation actuelle. En 2015, plus d’un million de migrants tentent de rejoindre les pays européens, principalement des Syriens, mais aussi des Afghans et des Irakiens, fuyant des pays qui connaissent ou ont connu des conflits majeurs. Malgré l’initiative d’Angela Merkel, qui ouvre les portes de l’Allemagne à des centaines de milliers de Syriens, l’Europe se barricade et signe un accord avec la Turquie pour le renvoi des migrants arrivant en Grèce.
Le fait de lutter contre les stéréotypes, ce n'est pas juste être gentil. C'est une question de vie et de mort.
"Quand il s'agit de réfugiés qu’on voit comme non-blancs, explique Olivia Rutazibwa, c'est là qu'on voit toutes ces idées qui suggèrent que c'est de leur propre faute, qu'ils auraient dû prendre d'autres décisions, qu'ils viennent pour profiter mais surtout que si on les fait rentrer, c'est sûr qu'ils ne voudront plus repartir."
Pour Olivia Rutazibwa, la lutte contre les stéréotypes et le racisme n'est pas une question de principe ou de politiquement correcte. Elle a un impact direct sur la vie des gens. "Très littéralement, on laisse des milliers de gens mourir dans la Méditerranée juste parce qu'on a certaines idées sur qui ils sont et sur leur droit qu'ils ont ou pas d'être là. Mais nous voyons aussi au même moment qu'on est capable d'avoir d'autres idées sur les gens qui sont forcés de quitter chez eux", soutient Olivia Rutazibwa. "C'est important de se souvenir que le fait de lutter contre les stéréotypes, ce n'est pas juste être gentil. C'est une question de vie et de mort." En 2021, selon l'Organisation internationale pour les migrations, 2048 migrants sont décédés ou ont été portés disparus en Méditerranée, dont 76 enfants.
Elsa Anghinolfi