Pour motiver la fermeture de ces médias, le gouvernement malien fait référence à un reportage diffusé les 14 et 15 mars par RFI, dans lequel la radio a donné la parole à des victimes d'exactions qui auraient été commises par l'armée malienne et le groupe privé de sécurité Wagner. Les témoignages recueillis par RFI mentionnent notamment des vols, des détentions de civils dans des conditions extrêmement difficiles ou encore des exécutions sommaires.
Dans un communiqué publié jeudi matin, le colonel Abdoulaye Maïga, porte-parole du gouvernement malien, "rejette catégoriquement ces fausses allégations" contre les "vaillantes" forces armées maliennes. Il annonce suspendre "jusqu'à nouvel ordre" la diffusion de RFI et France 24. Il interdit également aux médias locaux "la rediffusion et la publication des émissions et articles de presse de RFI et de France 24". En temps normal, les médias maliens répercutent abondamment les informations de ces médias.
Jeudi à la mi-journée, RFI avait cessé ses émissions, mais France 24 continuait d'émettre, selon des correspondants de l'AFP. Dans un communiqué, France Médias Monde, maison mère des deux chaînes, déplore cette décision et "proteste vivement contre les accusations infondées". Le groupe "étudiera toutes les voies de recours pour qu'une telle décision ne soit pas mise en oeuvre".
Censure sans précédent récent
La censure de ces deux médias publics français intervient dans un contexte d'hostilité vis-à-vis de l'ancienne puissance coloniale, dont l'ambassadeur a été expulsé fin janvier. Le 18 février, Paris avait annoncé son retrait militaire du Mali après neuf ans de lutte antijihadiste, poussée dehors par les "obstructions" de la junte malienne.
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Le ministère français des Affaires étrangères a dénoncé des "atteintes graves à la liberté de la presse" au Mali, réitérant par ailleurs ses inquiétudes concernant les révélations faites par le reportage de RFI. De son côté, une porte-parole de la diplomatie européenne a jugé la décision de Bamako "inacceptable", évoquant des "accusations infondées".
Une telle suspension de deux grands médias d'information étrangers n'a pas de précédent récent au Mali, plongé depuis 2012 dans une grave crise sécuritaire et politique. RFI et France 24 sont très suivies au Mali, par "plus d'un tiers de la population" selon France Média Monde, et dans toute l'Afrique francophone.
Instabilité générale
Le Mali a été le théâtre de deux coups d'Etat militaires en août 2020 et en mai 2021. La junte militaire est revenue sur son engagement d'organiser des élections rapides pour le retour des civils au pouvoir, s'attirant de lourdes sanctions économiques et diplomatiques le 9 janvier de la part de la communauté des Etats ouest-africains (Cédéao).
Dans ce contexte, la junte malienne a signalé ses derniers mois son intention d'exercer un contrôle plus strict sur les médias étrangers. Le 8 février, Bamako avait expulsé un envoyé spécial du média français "Jeune Afrique".
afp/jop
Le HCR et Human Right Watch également dans le collimateur de la junte
Le communiqué du gouvernement malien publié jeudi fustige également une déclaration de Michèle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations unies aux droits de l'Homme, qui dénonçait le 8 mars des violations du droit international et des droits humains au Mali. Il déplore enfin un rapport de l'ONG Human Rights Watch (HRW) publié le 15 mars et qui dénonçait une "vague d'exécutions de civils".
Les forces de sécurité maliennes, dont des centaines de membres ont été tués au Mali depuis le début des troubles en 2012, sont régulièrement accusées d'exactions. La junte arrivée au pouvoir par la force en 2020 rejette systématiquement ces accusations et répète que les FAMa "respectent les droits humains".