La Lettonie, comme ses deux voisins baltes - l'Estonie au nord et la Lituanie au sud - est régulièrement citée comme une cible potentielle de la Russie. Cette peur, parfois irrationnelle mais intimement liée à l'histoire du pays, est d'autant plus présente depuis l'invasion de l'Ukraine fin février. La sécurité territoriale apparaît désormais comme une priorité: comme ses voisins baltes, le gouvernement letton a poussé son budget de défense à 2,5% du PIB.
Autre exemple, la formation paramilitaire de volontaires civils connaît un énorme succès depuis trois semaines. Alors qu'elle comptait quelque 8200 volontaires avant le 24 février, elle a reçu depuis près de 2000 nouvelles inscriptions. "Un quart de l'effectif en plus", explique son commandant Egils Lescinskis. Un engouement inédit depuis des années inspiré des bataillons de civils en Ukraine. "La façon dont les forces territoriales ukrainiennes résistent contre l'agresseur, c'est un bon exemple qui montre que ce type d'unités peuvent être efficaces contre un ennemi mieux armé. Je pense que ça pousse certaines personnes à rejoindre notre Garde nationale", note le militaire.
La peur permanente de l'impérialisme russe
La Lettonie possède pourtant deux atouts majeurs pour sa sécurité: elle est à la fois membre de l'Union européenne et de l'Otan. Mais cela n'est pas suffisant aux yeux du ministre letton de la Défense Artis Pabriks. Interrogé dans l'émission Tout un monde, le numéro deux du gouvernement appelle à un renforcement de la présence militaire de l'Otan dans son pays. "Les forces russes à nos frontières sont bien plus grandes, bien plus fortes que nos propres armées. Nous ne pouvons plus continuer à vivre dans une région avec un tel déséquilibre militaire", dit-il, appelant à l'installation d'une base permanente de l'Otan en Lettonie.
Le pays balte n'est toutefois pas favorable à l'établissement d'une zone d’exclusion aérienne en Ukraine. "Les opinions sont divisées au sein de l'Otan, mais ce n'est pas le sujet. La priorité c'est de fournir aux troupes ukrainiennes et au pays les défenses dont ils ont besoin", juge-t-il.
L'Europe doit durcir le ton
Envahie par l'URSS en 1940, par l'Allemagne nazie l'année suivante, puis à nouveau occupée par les soviétiques entre 1944 et 1991, la Lettonie se méfie toujours de son puissant voisin. Le ministre de la Défense affiche une position très dure à l'égard du pouvoir russe. "Si les pays voisins de la Russie veulent rejoindre l’Otan, c'est parce qu'ils ont peur d'une agression" de la part d'un gouvernement dont la politique est "fondée sur une vision impériale du passé et empreinte de révisionnisme", estime-t-il.
En Europe, il y a beaucoup de politiciens et d'hommes d’affaires qui aimeraient un retour à la normale. Cela ne doit pas arriver !
D'après lui, Moscou est donc l'artisan de sa propre insécurité. "La meilleure façon pour les Russes de s'assurer de ne plus avoir ces menaces imaginaires à leurs frontières, c'est de ne plus les menacer. Alors plus personne ne voudrait rejoindre l’Otan. C'est très simple."
Pour Artis Pabriks, l'Occident a été bien trop laxiste vis-à-vis des agissements de Moscou et doit désormais reconsidérer sa relation avec la Russie.
"L'approche précédente, où nous fermions les yeux sur tous les crimes que la Russie commettait, sur tous ses mensonges, on ne peut plus la reproduire", tonne-t-il. "En Europe, je crois qu'il y a encore beaucoup de politiciens et d'hommes d’affaires qui aimeraient un retour à la normale. Cela ne doit pas arriver !"
Le ministre letton appelle ainsi à appliquer des sanctions plus dures vis-à-vis de certains oligarques ou proches du pouvoir russe, mais également de leurs familles. "Actuellement, vous pouvez sanctionner des leaders de l'élite russe, mais leurs enfants et les membres de leur famille, qui sont tous liés par leurs biens et leurs propriétés probablement gagnés de façon illégale, peuvent continuer à profiter de la vie", déplore-t-il.
Frapper la population pour qu'elle "ouvre les yeux"
Sa position au sujet de la population russe est également radicale. Il l'assume: les sanctions occidentales devront affecter durement les habitantes et les habitants du pays. "Ils vont souffrir. Mais rappelez-vous que 70% de la population soutient Poutine, soutient la guerre et déteste l'Occident. Donc je ne pense pas que l'on doive retenir nos sanctions. Ces gens qui soutiennent leur régime, comme à l'époque des Nazis, doivent comprendre ce qu'ils sont en train de soutenir. C'est peut-être difficile à entendre, mais c’est la seule façon", estime-t-il.
Mais en parallèle, l'Occident doit aussi soutenir les velléités de liberté et de démocratie du peuple russe, précise le ministre. "Nous devons tenter de briser la bulle de désinformation dans laquelle vit la population russe. Parce qu'ils croient fermement à tous ces mensonges propagés par le Kremlin. Notre tâche, c'est donc de ramener ces gens à la raison. Et peut-être qu'un jour, il y aura suffisamment de volonté de la part du peuple russe pour avoir une relation différente avec l'Occident", explique-t-il. "Mais ce n’est pas à nous de nettoyer le désordre qu'ils ont créé", conclut Artis Pabriks.
Je ne pense pas que l'on doive retenir nos sanctions sous prétexte que des pauvres gens vont souffrir. Ces gens soutiennent leur régime, comme à l'époque des Nazis.
Et le vice-Premier ministre letton de terminer l'entretien en s’excusant à demi-mots: "Je suis désolé, je sais que ce n’est pas un discours fréquent dans vos pays, mais vous devez maintenant comprendre notre position".
Reportage et interview: Cédric Guigon
Texte web: Pierrik Jordan