Après l'invasion ukrainienne, rétablir un dialogue apaisé avec la Russie s'annonce "très compliqué"
Alors que l'invasion russe entre dans son deuxième mois, Bruxelles est jeudi le centre d'une Europe qui se remobilise. Le Vieux Continent entame une séquence diplomatique intense et même rarement vue, en présence de son partenaire américain. Au programme: un sommet de l'Otan suivi par un sommet du G7 et une réunion des chefs d'Etat de l'Union européenne pour terminer.
Le président des Etats-Unis Joe Biden prendra part aux deux premiers et doit ensuite s'exprimer devant les dirigeants de l'Union européenne. Il se rendra aussi en Pologne vendredi pour y rencontrer son homologue Andrzej Duda.
Les objectifs de ces trois rencontres sont multiples (lire encadré). Un nouveau renforcement des sanctions sera notamment discuté, de même qu'un déploiement supplémentaire de l'Otan ou encore la question de l'accueil des réfugiés ukrainiens.
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Tenir la Russie "en laisse courte"
Interrogée sur ses espoirs au terme de ce triple sommet, l'eurodéputée centriste représentant la Pologne Roza Thun attend que l'Europe intensifie son engagement actuel pour aider l'Ukraine. "Il faut vraiment participer à cette guerre, faire tout ce qui est possible pour qu'elle se termine aussi vite que possible, parce qu'on sait que des villes sont détruites, des gens sont tués, et les émigrants se comptent en millions", a-t-elle plaidé dans l'émission Tout un monde de la RTS, en direct de Bruxelles pour l'occasion.
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"La Pologne a toujours dit qu'il fallait une politique plus dure envers Vladimir Poutine, et personne ne nous prenait aux sérieux. On nous traitait de paranoïaques russophobes. Personne ne s'attendait à cette agression, mais nous, on l'attendait. On savait que ça allait venir", poursuit-elle. "La seule chose que nous pouvons faire aujourd'hui est de réagir très fort et forcer, avec l'unité mondiale, la Russie à arrêter la guerre", pour, ensuite, "la tenir en laisse courte".
Elle confie avoir déjà noté des changements à Bruxelles: "L'Europe de demain va être différente. L'ambiance, dans le bâtiment du Parlement européen, est différente d'il y a quelques semaines encore. On a déjà changé. Malheureusement, il a fallu cette guerre pour nous unir vraiment", note-t-elle.
L'Europe de demain va être différente. L'ambiance, au Parlement européen, est différente d'il y a quelques semaines encore. On a déjà changé. Malheureusement, il a fallu cette guerre pour nous unir vraiment
Afficher l'unité et la détermination de l'Europe
"Ca fait longtemps qu'on sait que ce genre de sommets accouchent rarement de décisions qui vont tout bouleverser. La journée d'aujourd'hui ne va pas arrêter la guerre. Ce qui est important, c'est l'unité et la détermination qui vont être affichées", tempère l'eurodéputé français du groupe conservateur Arnaud Danjean, spécialiste des questions internationales et de sécurité.
Des réunions symboliques, en somme? "C'est plus que symbolique, il va y avoir des décisions. Mais les décisions qui sont prises par cet hémisphère ne vont pas forcément impacter à court terme ce qui se passe en Ukraine ou en Russie", précise-t-il.
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Pour Roza Thun, il n'est pas question d'attendre que la situation se tasse en faisant comme si de rien n'était. "Cette guerre est là. Elle va coûter, elle va être douloureuse pour nous aussi. Une guerre, ce n'est pas un jeu, et nous devons nous impliquer pour ne pas la rendre encore pire. Il faut être préparés au changement de la vie quotidienne en Europe pendant au moins un certain temps", avertit-elle. Première chose à faire: rendre l'Europe indépendante vis-à-vis de la Russie, du point de vue de l'énergie notamment.
Il faut être préparés au changement de la vie quotidienne en Europe pendant au moins un certain temps
Imposer un embargo sur le pétrole et le gaz russe, en plus des difficultés que cette décision causerait à l'Occident, n'apporterait qu'une solution partielle. "Ca ne représente qu'une partie des exportations russes. Chine, Inde, pays du Golfe, Turquie n'appliquent pas les sanctions", prévient Arnaud Danjean, qui craint que ces pays ne permettent à la Russie de sortir de son isolement.
Un dialogue post-crise avec Vladimir Poutine impossible?
Une fois la guerre terminée, comment l'Occident va-t-il s'y prendre pour nouer à nouveau des relations saines avec la Russie? "Il faudra voir de quelle Russie on parle. Si c'est la Russie de Poutine, ce sera très compliqué de rétablir une forme de dialogue apaisé. On a franchi des paliers gravissimes. Je ne vois pas comment on peut rétablir la confiance, trouver une base de discussion commune avec quelqu'un qui justifie une invasion par des mensonges éhontés, tord le cou à la réalité pour vivre dans son fantasme d'encerclement", analyse Arnaud Danjean.
Ce sera très compliqué de rétablir une forme de dialogue apaisé. On a franchi des paliers gravissimes. Je ne vois pas comment on peut rétablir la confiance, trouver une base de discussion commune avec quelqu'un qui justifie une invasion par des mensonges éhontés
Et d'illustrer: "Au moment où Poutine déclenche la guerre, il n'y avait quasiment pas de troupes de l'Otan aux frontières russes. Comment établir le dialogue avec quelqu'un qui vit dans une autre réalité?
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Pourtant, la Russie "restera là où elle est géographiquement", convient-il lui-même."Il faudra bien trouver des moyens de discuter, de s'accorder. C'est là où on entre vraiment dans une zone inconnue".
Au moment où Poutine déclenche la guerre, il n'y avait quasiment pas de troupes de l'Otan aux frontières russes
Tirer profit du multiculturalisme européen
Roza Thun, elle, rappelle que les ex-pays du bloc de l'Est sont ceux qui connaissent le mieux la Russie, et déplore que la Pologne, en particulier, ait perdu ces dernières années son rôle privilégié qui était de faire le lien entre Occident et Russie. "On a toujours eu cette ambition d'être un peu les traducteurs de la Russie. Ca a fonctionné pendant un certain temps, mais on a perdu ce rôle car notre gouvernement a beaucoup affaibli la position de la Pologne dans l'UE", regrette-t-elle.
Or, à ses yeux, c'est la piste à suivre. "Il faut prendre cette perspective plus sérieusement: les pays de l'Est sont ceux qui connaissent le mieux leurs voisins de l'est", tout comme les pays latins d'Europe connaissent bien l'Amérique latine, avance Roza Thun. "Il y a beaucoup d'expertise en Europe. L'UE peut vraiment avoir la politique extérieure la plus intéressante au monde avec toute la connaissance que nous avons".
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Vincent Cherpillod / Tout un monde
Les discussions au menu du triple sommet Otan-G7-UE
Sommet de l'Otan
Le but premier du sommet est d'afficher l'unité des Etats membres de l'Otan face à la Russie, a analysé jeudi dans l'émission Tout un monde le correspondant de la RTS à Bruxelles Alain Franco. Le président Volodymyr Zelensky va aussi s'adresser aux dirigeants de l'Alliance. Ils vont examiner leur soutien pour aider l'Ukraine à exercer son droit à l'autodéfense, a annoncé le secrétaire général de l'Otan Jens Stoltenberg.
L'organisation devrait confirmer au cours du sommet le déploiement de nouvelles troupes sur son flanc oriental, avec un bataillon dans chacun de ces pays: Hongie, Slovaquie, Bulgarie et Roumanie. Ils s'ajouteront aux quatre groupes tactiques déjà présents dans chacun des Etats baltes et en Pologne. Avec cette décision, l'Otan accroit sa présence de la Baltique à la mer Noire.
Le président russe Vladimir Poutine a commis une "grosse erreur" avec l'invasion Ukraine, dont il a "sous-estimé" la résistance, a affirmé jeudi Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l'Otan, avant l'ouverture du sommet extraordinaire de l'Alliance.
Les 30 membres de l'Otan conviendront également d'envoyer à Kyiv des équipements de défense contre les attaques biologiques, chimiques et nucléaires. A noter que la Turquie, qui ne suit pour l'heure pas les sanctions américaines et européennes, fait partie de l'Otan et sera donc présente.
Sommet du G7
La réunion du G7, toujours à Bruxelles, rassemblera l'Allemagne, le Canada, les Etats-Unis, la France, l'Italie, le Japon et le Royaume-Uni. L'éventualité d'un nouveau volet de sanctions à l'encontre de Moscou sera notamment discutée lors de cette réunion d'urgence.
Les pays réunis vont plancher sur le contrôle des sanctions, sur la dépendance aux hydrocarbures russes et sur l'accueil des 3,5 millions de réfugiés ukrainiens. Certains Etats envisagent de demander aux Etats-Unis de prendre leur part via un possible pont aérien.
Sommet de l'Union européenne
Le président américain Joe Biden prendra exceptionnellement la parole durant ce sommet qui réunira les chefs d'Etat des 27 membres de l'Union européenne. Le président ukrainien Volodimir Zelensky prendra lui aussi la parole, par vidéoconférence. Une heure et demie à deux heures de réunion sont prévues.
Joe Biden devrait entre autres soulever deux points: le rôle de la Chine et la possible extension des sanctions contre les leaders politiques russes.
Un éventuel embargo sur le pétrole, davantage faisable que sur le gaz, devrait aussi être au menu des discussions. Pour l'heure, l'UE y est peu favorable, surtout l'Allemagne. "Le faire serait catastrophique pour l'économie de l'Europe toute entière, a déjà averti le chancelier allemand Olaf Scholz. Il se murmure aussi que l'UE aimerait garder l'arme de l'embargo sur le pétrole russe comme sanction en cas d'utilisation d'armes chimiques par la Russie en Ukraine.