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En Chine, la stratégie du "zéro-Covid" a atteint ses limites

Des agents de sécurité devant un bloc confiné à Pékin. [Keystone/AP Photo - Andy Wong]
La stratégie zéro-Covid de la Chine mise à rude épreuve face au variant omicron / Tout un monde / 6 min. / le 22 mars 2022
Pékin espérait tourner la page du Covid en se barricadant. La formule a jusqu'ici permis au pays d’interrompre les chaînes de transmission, mais avec Omicron et son sous-variant BA.2, maintenir le couvercle sur la marmite pandémique s’avère de plus en plus compliqué.

Coupées du reste du monde, les autorités recourent depuis plus de deux ans à une méthode radicale basée sur trois grands principes appliqués scrupuleusement: tester, tracer et isoler, afin d'éviter la propagation du virus. La population semble toutefois les supporter de moins en moins.

"Nous voulons vivre! Nous voulons travailler! Arrêtez avec vos quarantaines, on n'en veut pas!". Les cris de protestation ont résonné lundi soir dans les rues du district central de Futian, à Shenzhen. Confinés à la mi-mars, les 17 millions d'habitants que compte l'agglomération de cette grande métropole du sud ont été libérés cette semaine, à l'exception de quelques "zones à risques", dont les résidents ont pris à partie les forces de l'ordre et les équipes sanitaires.

Emprisonnés derrière de hautes palissades de chantier dressées pour isoler leur quartier, la plupart des habitants n'ont pas travaillé depuis deux semaines. A l'autre bout de la ville, le même soir, une foule excédée a mis à sac un stand de dépistage. Des mouvements de protestation spontanés, parfois musclés, ont eu lieu à travers le pays ces derniers jours.

Craintes d'une approche différente

Ces incidents traduisent-ils une grogne populaire généralisée? Difficile de connaître le sentiment réel de la population envers les mesures draconiennes imposées par la stratégie zéro-Covid du gouvernement.

Si Huang Yanzhong reconnaît que la patience des Chinois est mise à rude épreuve depuis deux ans, ce spécialiste de la politique de santé chinoise au Council on Foreign Relations à New York perçoit encore une certaine adhésion de la part du public. "Une grande partie des gens admettent que cette politique contribue à assurer un environnement sûr, un environnement sans Covid. Et puis, la population a été constamment informée par les médias d'Etat de la situation dramatique en Occident, où le nombre de morts a explosé faute d'avoir opté pour la stratégie zéro-Covid. Il y a ce sentiment que si la Chine change son approche, les conséquences seraient dévastatrices".

La peur du Covid, véhiculée intensément par le pouvoir, a infusé. Depuis le début de la crise, le Parti communiste s'affiche en protecteur, prêt à tout pour préserver la santé de sa population. La propagande met en exergue une gestion occidentale décrite comme laxiste et défaillante. Xi Jinping lui-même n'a pas hésité à brandir la lutte contre la pandémie pour en faire le symbole de la supériorité du système socialiste chinois sous la gouvernance du Parti communiste.

"Etant donné la politisation extrême de la pandémie, maintenir la stratégie zéro-Covid et s'assurer qu'elle fonctionne est vu comme primordial par la Chine dans sa compétition idéologique avec les Etats-Unis", analyse Huang Yanzhong.

>> Ecouter La Matinale revenir lundi sur les premiers morts du Covid depuis un an en Chine :

Un travailleur médical dirige les personnes entrant dans un hôpital, à Shanghai, en Chine, le 15 mars 2022. [Keystone - ALEX PLAVEVSKI]Keystone - ALEX PLAVEVSKI
C'est officiel, la Chine a enregistré ce week-end ses premiers morts du Covid depuis janvier 2021 / La Matinale / 1 min. / le 21 mars 2022

"On a besoin de travailler, on doit gagner notre vie"

Mais à l'heure où l'Occident et la plupart des pays de la région Asie-Pacifique tournent progressivement la page et démantèlent, l'un après l'autre, leur dispositif anti-Covid, l'entêtement des autorités chinoises fissure l'opinion publique.

"J'avais peur du virus quand c'était Delta, mais désormais, les cas sont le résultat d'Omicron… Et je ne crains pas ce variant parce qu'une de mes amies l'a attrapé et elle s'est parfaitement remise en 3 ou 4 jours", explique Sandy. Cette jeune femme de 28 ans, originaire de Hefei, ville située à l'est de la Chine, refuse de donner son nom chinois par crainte d'être reconnue.

Elle fustige une politique inadéquate contre le variant Omicron: "S'ils continuent à systématiquement tout confiner pour réduire le nombre de cas, ce sera encore plus mauvais pour l'économie. Tout le monde constate que la situation a empiré après deux ans de cette politique. On a besoin de travailler. On doit gagner notre vie!"

"La stratégie zéro-Covid a frappé de plein fouet l'économie domestique"

Face à la résurgence du variant Omicron ces dernières semaines, certains instituts financiers ont déjà abaissé leur prévision de croissance pour la Chine cette année. "Ils se rendront vite compte que les coûts de cette politique excèdent les bénéfices", prévient Huang Yanzhong. "Si, dans un premier temps, elle a été bénéfique à l'économie nationale en permettant de préserver et de renforcer l'industrie d'exportation, devenue le moteur de la croissance chinoise depuis le début de la pandémie, la stratégie zéro-Covid a frappé de plein fouet l'économie domestique", explique pour sa part Wang Dan, cheffe économiste à la Banque Hang Seng.

"Les chiffres de la consommation sont très mauvais, surtout dans les villes. Les mesures de confinement cette fois-ci ont été tellement strictes qu'elles ont paralysé l'économie locale. Le gouvernement doit clairement signaler qu'il est prêt à tolérer un certain nombre d'infections. Mais il n'y a malheureusement eu aucun signal dans cette direction."

Des responsables locaux limogés quand il y a trop de cas

Xi Jinping a bien ordonné récemment de minimiser l'impact sur la population et l'économie, mais dans les faits, les autorités locales continuent de faire face à une énorme pression du gouvernement central. Des maires, des gouverneurs et des responsables politiques sont régulièrement limogés et punis lorsque de nouveaux cas sont identifiés.

Le nombre d'infections quotidiennes s'est élevé à près de 5000 dans le pays ces derniers jours. Malgré ces chiffres extrêmement faibles en comparaison internationale, les pouvoirs publics jugent la situation critique. "Nous devons nous en tenir à notre stratégie zéro-Covid dynamique […] le temps de développer de nouveaux médicaments et de nouveaux vaccins. Nous pourrions même atteindre un stade où le virus devient moins transmissible et moins virulent. Ce scénario serait le meilleur pour nous", déclarait cette semaine Liang Wannian, épidémiologiste et architecte de la stratégie sanitaire chinoise

Peur du scénario hongkongais

Pékin redoute le scénario hongkongais. Victime de la déferlante Omicron, l'ancienne colonie britannique connaît le taux de mortalité le plus élevé au monde depuis le début de la pandémie. L'hécatombe touche avant tout les personnes âgées non vaccinées, une majorité dans le territoire.

Or, si 87% de la population chinoise a reçu deux doses de l'un des sérums nationaux, ce pourcentage chute drastiquement auprès des plus vieux: 50% des 70 ans sont pleinement vaccinés et moins de 20% des 80 ans et plus. De quoi faire redouter les décès en cascade en cas de flexibilisation des mesures sanitaires.

>> Revoir à ce sujet le reportage du 12h45 :

Hong-Kong confronté à une cinquième vague de Covid-19
Hong-Kong confronté à une cinquième vague de Covid-19 / 12h45 / 1 min. / le 12 mars 2022

Un Parti communiste pris entre stabilité politique et économique

Le Parti communiste ne veut pas prendre le risque de voir se multiplier les familles endeuillées, source de mécontentement en cette période délicate pour le pouvoir. Le pays s'apprête en effet à renouveler ses élites politiques à l'occasion du 20ème congrès du parti, qui aura lieu l'automne prochain. Cette grand'messe organisée tous les cinq ans verra en outre Xi Jinping reconduit dans ses fonctions de secrétaire général du PCC pour un troisième mandat, une situation inédite depuis la mort de Mao Zedong.

Pour Wang Dan, le contexte est donc peu propice à un changement de la politique sanitaire du pays: "Je ne crois pas que ce soit possible pour les autorités. Le 20ème congrès du Parti communiste est un évènement si important qu'ils voudront maintenir la stabilité sociale à tout prix. Ils ne veulent pas voir de panique ou d'angoisse au sein du public. Or si les cas Covid augmentent rapidement, ça engendrerait cette panique tant redoutée".

Mais parallèlement, la situation économique inquiète. Avec la reprise de la production à l'étranger, la demande en produits chinois a déjà commencé à diminuer. "La machine ralentit et l'économie domestique n'est pas en mesure de compenser ces pertes dans la situation actuelle. Ce sera un gros problème au cours de la seconde moitié de l'année", alerte Huang Yanzhong. Un problème qui est lui aussi source d'instabilité potentielle: "Ils ne peuvent pas attendre l'automne pour adapter leur politique sanitaire". Comme à son habitude, le Parti communiste est sur une ligne de crête. Tel un funambule debout sur une corde raide, il avance, lentement, un pas après l'autre.

Michael Peuker/ther

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