A long terme, cette guerre aura de lourdes conséquences: politiques, humaines et économiques pour la population russe et ses élites. Peut-être même sur la durée de vie du régime. Mais à court terme, le pouvoir russe estime avoir obtenu certaines choses, affirme Tatiana Stanovaya, politologue et fondatrice du bulletin d'information R.Politik.
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"Vladimir Poutine est convaincu que cette guerre a permis d'arrêter l'expansion de l'Otan. Tout pays de l'ex-URSS qui ferait une demande d'adhésion à l'avenir sait désormais qu'il pourrait se retrouver dans la même situation que l'Ukraine. Il n'y aura pas non plus de bases américaines en Ukraine, qui deviendra un pays neutre. Et le Donbass sera probablement russe", anticipe la spécialiste.
Aux yeux du président russe, les réussites sont donc nombreuses. "Mais à quel prix, et comment la population et les élites voient tout cela, c'est une autre question, difficile. Vladimir Poutine voulait mettre fin à l'Ukraine sous sa forme étatique, telle qu'elle existait jusqu'au début de la guerre. Il estime y être parvenu."
Les limites de l'influence occidentale?
La rhétorique des Occidentaux sur une adhésion de l'Ukraine à l'Otan a changé, selon Igor Delanoë, directeur adjoint de l'Observatoire franco-russe à Moscou.
"Des dirigeants comme Joe Biden ou Olaf Scholz disent clairement que l'Ukraine, à ce stade, n'a pas vocation à faire partie de l'Alliance. Pourtant, depuis le début du conflit, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a tout essayé pour demander une procédure accélérée d'adhésion à l'Otan, ainsi qu'à l'Union européenne. Et cela lui a été refusé aussi bien par les Européens que par les alliés", indique-t-il.
Il n'y a aucune consolidation anti-russe hors de l'Occident
D'un point de vue militaire, l'armée russe semble embourbée, ayant sous-estimé la résistance ukrainienne. Peut-on malgré tout parler de réussite dans ce contexte? Si la guerre éclair a échoué, Dmitry Suslov, expert en relations internationales à la Haute école d'économie de Moscou, minimise l'idée de défaite.
Il affirme que la Russie n'a engagé qu'un cinquième de son armée en Ukraine et qu'elle ne veut pas utiliser toute sa puissance de feu, ni mobiliser sa population. Quant aux sanctions, il estime que la Russie a encore beaucoup d'alliés.
"Cette opération militaire a montré à quel point l'influence de l'Occident était limitée, en dehors des pays occidentaux eux-mêmes. C'est vrai que l'Occident a fait bloc, s'est uni, a lancé des sanctions sans précédents. On voit tomber un rideau de fer peut-être plus dur encore que le précédent. Mais hors de l'Occident, il n'y a aucune consolidation anti-russe. Au contraire, la tendance vers une construction polycentrique du monde s'est fortement accélérée." Comme exemple de cette dynamique multipolaire, il cite le fait que l'Arabie saoudite et la Chine envisagent désormais des échanges en yuans, et non plus en dollars, pour l'achat de pétrole saoudien.
Logique de guerre
Igor Delanoë rappelle quant à lui que de nombreux pays s'abstiennent et ne condamnent pas directement Moscou. "Je pense à tous les pays d'Afrique et aux pays d'Asie à l'exclusion du Japon et de la Corée du Sud. L'Amérique latine et l'Inde également ne veulent pas du tout couper les ponts avec la Russie, au grand dam des Occidentaux. Les Chinois sont dans une position très particulière. Quand vous ne prenez rien que l'Inde et la Chine, vous êtes déjà à une bonne moitié de l'humanité."
A l'interne, cette guerre a permis au Kremlin de réprimer plus que jamais les voix dissidentes. Mais selon Tatiana Stanovaya, ce n'était pas l'objectif principal de Moscou. "Je ne pense pas que c'était un but en soi, mais plutôt des mesures nécessaires. Ces mesures divisent l'élite au pouvoir et sont plutôt risquées pour le Kremlin sur le long terme. Le pouvoir est en conscient, mais estime qu'il s'agit d'une situation temporaire", relève la politologue.
Le pouvoir russe vit dans une logique de guerre, y compris à l'intérieur du pays. Il ne sera pas facile d'en sortir par la suite.
Isabelle Cornaz/gma