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Erwan Lecoeur: "Viktor Orban et Aleksandar Vucic se disent assez proches de Moscou pour éviter la guerre"

L'invité de La Matinale (vidéo) - Erwan Lecoeur, sociologue, spécialiste des populismes
L'invité de La Matinale (vidéo) - Erwan Lecoeur, sociologue, spécialiste des populismes / L'invité-e de La Matinale (en vidéo) / 12 min. / le 4 avril 2022
Alors que la guerre continue à faire rage en Ukraine, l'Europe centrale a plébiscité dimanche deux dirigeants connus pour leurs accointances avec Vladimir Poutine: Viktor Orban en Hongrie et Aleksandar Vucic en Serbie. Le conflit profiterait-il alors à ces hommes forts? Et si oui, pourquoi? Elements de réponse avec le sociologue Erwan Lecoeur, spécialiste du populisme.

Dimanche, le dirigeant souverainiste hongrois Viktor Orban a remporté une quatrième victoire d'affilée, bien plus facilement que prévu, à l'issue des élections législatives.

Les analystes avaient prédit une bataille serrée mais les résultats sont sans appel: le parti Fidesz de Viktor Orban recueillait 53,35% des voix après le dépouillement de 93% des bulletins, contre 34,75% pour l'opposition, a précisé le Bureau national électoral. Fort de cette avance, le Premier ministre est assuré de conserver une majorité des deux tiers au Parlement.

Le chef de l'Etat serbe sortant Aleksandar Vucic a revendiqué le même jour une victoire écrasante à la présidentielle, prolongeant une décennie d'emprise sur le pays des Balkans.

L'impact de la guerre en Ukraine

Dans les deux cas, la guerre en Ukraine semble avoir joué un grand rôle dans leurs réélections. En Hongrie, Viktor Orban s'est posé en "protecteur" de la Hongrie, en garant de paix et de stabilité, refusant de livrer des armes à l'Ukraine et d'envisager des sanctions qui priveraient les Hongrois des précieux pétrole et gaz russes. Parallèlement, sur les affiches électorales et dans les médias pro-Orban, l'autre candidat Peter Marki-Zay a été dépeint comme "dangereux", accusé de vouloir précipiter le pays dans la guerre du fait de son ferme soutien à l'Ukraine.

>> Lire : Comment la guerre en Ukraine sert la possible réélection de Viktor Orban en Hongrie

Même scénario en Serbie, où la campagne, qui aurait dû se focaliser sur l'environnement, la corruption et les droits dans ce pays des Balkans de 7 millions d'habitants, a tourné essentiellement autour de l'Ukraine. Habitué à jouer des influences rivales de l'Est et l'Ouest, Aleksandar Vucic s'est emparé de cette situation à son avantage en se présentant comme le seul capable de barrer le navire par temps d'orage. Il a fait campagne sous le slogan "Paix. Stabilité. Vucic".

Avec Orban et Vucic, la guerre a eu cet effet de rassemblement autour du capitaine d'un bateau qui chancelle un peu sur la mer d'Ukraine

Erwan Lecoeur, sociologue, spécialiste des populismes

Invité de La Matinale lundi, Erwan Lecoeur, spécialiste de l'extrême-droite et des populismes, confirme l'avantage que la guerre a apporté à ces campagnes: "La guerre a eu cet effet de rassemblement autour du capitaine d'un bateau qui chancelle un peu sur la mer d'Ukraine (...). L'un comme l'autre ont joué sur la corde du 'avec nous la guerre ne viendra pas jusqu'ici'", décrit-il. En résumé, ces dirigeants ont instillé l'idée dans la population que "Vladimir Poutine n'attaquera pas la Hongrie ou la Serbie -  même s'il devait attaquer d'autres pays d'Europe - car nous sommes suffisamment proches de Moscou", analyse le spécialiste.

Réalisme et pouvoir d'achat

Pour le sociologue français, cette proximité et ces bons rapports politiques avec le Kremlin ne sont pas les seuls éléments qui expliquent ces résultats. Le chercheur juge aussi que tant en Serbie qu'en Hongrie, les deux dirigeants sortants ont mis en avant leur "réalisme", surtout en ce qui concerne les hydrocarbures. Après la sécurité au sens propre, ils auraient donc réussi à véhiculer le message d'une sécurité économique à leurs électeurs.

"Il y a un un réalisme à l'égard des hydrocarbures, du gaz et du pétrole russe. L'un comme l'autre l'ont fait valoir pendant cette campagne. Dépendants parfois à plus de 50% du gaz russe, un gaz d'ailleurs moins cher, ils sont devenus les dirigeants et défenseurs du pouvoir d'achat", explique-t-il.

Le cas Marine Le Pen

En France, la situation en Ukraine semble aussi commencer à profiter à Marine Le Pen. La candidate du Rassemblement national remonte en effet depuis quelques semaines dans les sondages et devrait selon toute vraisemblance atteindre le second tour de la présidentielle pour affronter une nouvelle fois Emmanuel Macron.

Réputée proche de Vladimir Poutine, qu'elle a rencontré à plusieurs reprises, endettée auprès de banques russes à hauteur de 9 millions d'euros, comment expliquer qu'elle n'ait pas implosé à la manière d'Eric Zemmour, au moment où le conflit a éclaté?

Marine Le Pen joue sur ce qui lui reste, le pouvoir d'achat

Erwan Lecoeur, sociologue, spécialiste des populismes.

Pour Erwan Lecoeur, c'est là que réside la différence entre Marine Le Pen et ses homologues hongrois et serbe. Alors qu'ils peuvent jouer sur leur proximité avec Vladimir Poutine et sur la sécurité économique, la candidate française n'a qu'une seule cartouche: le pouvoir d'achat.

"Marine Le Pen ne peut pas jouer le rassemblement autour du drapeau, car Emmanuel Macron l'a déjà fait, ce qui l'a aidé à remonter dans les sondages ces dernières semaines, avant d'entamer une nouvelle baisse (...) Marine Le Pen joue donc sur ce qui lui reste, le pouvoir d'achat", détaille le chercheur associé à l'Université de Grenoble.

Et de préciser: "Marine le Pen a un vrai socle électoral et sociologique: ouvriers, employés, chômeurs, jeunes, femmes... un électorat qui peut peser 20 à 30% et qui comprend des déçus du libéralisme, des déçus de la gauche (...) A l'inverse, Eric Zemmour n'a pas ce socle. C'est pour ça qu'après avoir appelé à la nécessité d'un Poutine à la française, sa campagne a dégringolé quand la guerre a commencé".

Propos recueillis par Frédéric Mamaïs

Adaptation web: Tristan Hertig

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