Boutcha s'est réveillée lundi matin avec dans chaque rue la même détresse. Une croix plantée dans la précipitation porte trois noms, ceux d'une mère et de ses 2 enfants de 4 et 7 ans. Ils ont été enterrés par la grand-mère et un voisin, en face de leur maison.
"Ma fille voulait protéger ses enfants, c’est pour ça qu'ils ont voulu fuir Boutcha. Mais ils n’ont pas réussi à traverser même la moitié de la ville. Un blindé russe leur a tiré dessus", explique la grand-mère au 19h30.
Derrière la tombe se trouve une fosse commune avec une dizaine de corps, dont la plupart sont disposés dans des sacs mortuaires. Une deuxième fosse à côté a déjà été recouverte. Selon les voisins et les autorités, elle contiendrait une soixantaine d'autres corps.
Crimes de guerres manifestes
Alexandre Konovalov, un habitant de Boutcha, n'a pas quitté la ville de toute l'occupation russe. Il témoigne des horreurs auxquelles il a assisté. "C'était comme un safari. Les Russes tiraient sur tout le monde, ils tiraient sur tout ce qu'ils voyaient. [...] Ils étaient tous bourrés. Ils se promenaient en disant 'nous avons l'ordre de tous vous tuer' et ils allaient, entrée par entrée, cave par cave, ils sortaient les gens..."
En faisant le tour des caves, l'équipe de la RTS a découvert cinq hommes tués, en vêtements civils. Toutes les victimes avaient les bras liés derrière le dos, dans ce qui pourrait être considéré comme un crime de guerre. Les témoignages recueillis laissent penser qu'il ne s'agit pas d'un cas isolé. Des dizaines de personnes ont raconté le même genre de récits d'exécutions sommaires.
La nécessité de documenter
Un autre passant, encore hébété par les semaines qu'il vient d'endurer, demande à la journaliste de la RTS de l'accompagner. Il veut que des corps qui n'ont jamais été répertoriés ou enregistrés - vraisemblablement les parents et deux adolescents d'une même famille - soient filmés. Selon cet habitant, ni la police, ni les forces de l'ordre n'ont pu constater ces décès. Cet habitant tenait à ce que ces corps soient répertoriés. Sa crainte est que les traces de ces crimes soient effacés.
Pour les habitants, il y a urgence. Ils emmènent la presse dans leurs petites cours pour montrer des hommes à terre, toujours des civils. Ce sont pour eux des voisins, des amis. A chaque fois, ils prenaient soin de contourner les corps au maximum, pour éviter de dégrader ce qui pourraient permettre aux enquêteurs - qu'ils espèrent voir arriver - de faire leur travail.
"Je suis étonnée qu'on soit étonné"
Invitée dans le 19h30, la spécialiste du monde russe Geneviève Piron estime que l'on aurait dû s'alarmer bien avant la découverte de ce massacre. "Ce matin, j'ai non seulement été étonnée qu'on soit étonné par ces massacres, mais j'ai également ressenti un peu d'indignation face à cet étonnement. C'est une guerre, et on sait comment elles se passent. Ils ne faut pas que ces guerres commencent, car c'est une inflammation, c'est comme un incendie, et ça devient de pire en pire".
Celle qui a travaillé en Tchétchénie pour le CICR rappelle l'importance que ces images de massacres peuvent avoir sur l'opinion publique. "Peut-être que ce qui est étonnant, c'est qu'on voit si tôt ce que l'on a plutôt l'habitude de voir un peu plus tard dans le temps. Mais si on voyait maintenant le visage des 5000 personnes qui sont dans les gravats de Marioupol bombardée, on serait aussi très choqués."
Reportages radio et TV: Maurine Mercier, Sébastien Faure et Jon Bjorgvinsonn
Adaptation web: Antoine Schaub
Une falsification peu probable
La Russie a annoncé lundi qu'elle allait présenter des "documents" montrant, selon elle, la "vraie nature" des événements dans la ville de Boutcha. Auparavant, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov avait déjà "catégoriquement" nié toutes les accusations liées à la découverte de cadavres dans la ville.
Un communiqué du ministère russe de la Défense avait affirmé que les images de cadavres dans les rues de la ville étaient "une nouvelle production du régime de Kiev pour les médias occidentaux".
Envoyé spécial de la RTS à Boutcha, Sébastien Faure n'exclut pas qu'il puisse s'agir d'un montage. Il précise que les faits devront être établis par des médecins légistes et des enquêteurs indépendants et non pas par des journalistes.
Toutefois, Sébastien Faure assure qu'une telle falsification aurait été très difficile à mettre en place. Jusqu'à vendredi, les Russes étaient à Boutcha et les premières images des corps dans les rues ont été prises le lendemain. Il aurait donc fallu mettre en scène les dizaines de cadavres en très peu de temps.
Les Ukrainiens auraient aussi dû embaucher des milliers de figurants, puisque la RTS pouvait parler à tout le monde. Enfin, tous les témoignages recueillis racontent les mêmes histoires d'exactions.