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La politique zéro-Covid chinoise, du drame aux récits kafkaïens

Shanghai est débordée par les cas de Covid-19. [Keystone/AP Photo - Chen Si]
L'armée à la rescousse de Shanghai débordée par les cas de Covid / Le 12h30 / 1 min. / le 5 avril 2022
Traçage, dépistage, quarantaine, confinement partiel ou total. La politique zéro-Covid a longtemps été un objet de fierté pour Pékin, alors que les pays occidentaux comptaient leurs morts. Un peu plus de 2 ans plus tard, la "vie normale" reprend gentiment son cours autour du globe, mais en Chine les mesures drastiques continuent, entraînant leur lot de drames et de situations kafkaïennes.

Mardi, les autorités chinoises ont étendu les mesures de confinement à l'ensemble des 26 millions de résidents de Shanghai, après avoir constaté une hausse des cas de Covid-19 à la faveur d'une campagne massive de dépistage.

>> Lire aussi : La moitié des 25 millions d'habitants de Shanghai confinés pour 4 jours

Les autorités de la mégalopole avaient signalé mardi 17'007 nouveaux cas asymptomatiques, contre 13'086 lundi et 8581 dimanche, un record pour la cité qui est devenue l'épicentre de cette nouvelle vague de contaminations.

Les autorités de la ville continuent de s'agripper à leur stratégie 0-Covid: l'entier de la population est testé à intervalle régulier, les cas confirmés sont envoyés en quarantaine centralisée. Mais au sein de la population, la colère gronde face à l'internement forcé des cas positifs.

Un internement longue durée

Beaucoup dénoncent aussi l'internement dans les stadesou les halles d'exposition, comme monsieur Yu, âgé de 66 ans. Pourtant asymptomatique, il a été amené de force au Shanghai World Expo où il dort sur un lit de camp parmi des milliers d'autres inconnus.

"Les toilettes ici sont vraiment très sales. Il y a beaucoup de gens. J'ai essayé de compter hier, on doit être plus de 3000. Ce n'est pas évident de dormir la nuit: la lumière est allumée en permanence. C'est comme en plein jour. Et puis c'est très bruyant." Et l'homme de déplorer la durée prévue de son séjour dans les halles: "On nous a dit qu'on resterait ici 14 jours."

Des ordres "imposés d'en haut"

Sa fille, libre, qualifie ce traitement d'inhumain: "C'est vraiment insensé… Pour moi, leur crédibilité et leur image s'est effondrée. Quand il n'y a pas de problème, tout va bien… Mais dès qu'il y a un pépin, ça dérape.

Pour elle, les ordres sont "imposés du haut" et sont "appliqués à la lettre". "Elles sont le fruit de l'administration… Ils se fichent des gens ou de leur opinion." Elle estime qu'il y "aura un point de bascule" et que la gestion de la situation va évoluer: "Les coûts sont justes trop importants!"

Mais pour l'heure Pékin tient bon: il faut poursuivre la stratégie 0-Covid a déclaré samedi le gouvernement central.

Les mesures sanitaires sont toutefois loin de ne toucher que la capitale financière du pays. Dans une note, le groupe bancaire japonais Nomura a estimé mardi que 23 villes chinoises sont sous confinement partiel ou total, affectant environ 193 millions de personnes dans des zones comptant pour 13,6% du PIB national.

Une logistique dépassée par le nombre de cas

Si les mesures très strictes mises en place par le pouvoir ont permis de juguler, puis d'éteindre complètement pendant de nombreux mois les premières vagues de la pandémie, Omicron et son sous-variant BA.2 se sont avérés beaucoup plus difficiles à contrôler.

Conséquences directes d'une contagiosité plus développée, ces nouvelles mutations du virus ont donc fait exploser les cas et par effet ricochet les confinements et autres quarantaines. Et voilà que la machine logistique chinoise qui avait fait ses preuves depuis 2020 n'arrive plus à suivre.

Sur les réseaux sociaux, les images et récits de la situation à Shanghai affluent: centres de quarantaine et hôpitaux débordés, manque de prise en charge, impossibilité de se faire livrer des aliments ou même de l'eau par endroits.

"Le confinement strict de Shanghai a été prolongé indéfiniment et il est toujours impossible de commander de la nourriture et de l'eau. Aujourd'hui, je me suis levé à 05h30 du matin, mais le système de l'app de commande était saturé (...) personne n'est autorisé à aller dehors. Le gouvernement m'a donné hier des légumes mais seulement pour quelques jours. J'ai besoin de viande, de riz, d'oeufs et, le plus important, d'eau. Beaucoup de mes amis sont dans cette situation. Et comment font les personnes âgées qui n'utilisent pas d'applications sur leur téléphone?", se demande ainsi dans une série de tweets Edward Lawrence, journaliste pour la BBC.

"Quatrième jour de qui sait combien de jours de confinement à Shanghai. Mon hôtel est en rupture de stock d'eau. Ils m'ont conseillé d'en acheter en ligne mais les services de livraison sont à l'arrêt. Et je suis dans un hôtel d'un quartier central de la ville. Je ne peux qu'imaginer à quel point les choses sont devenues terribles dans d'autres endroits", renchérit Don Weinland, journaliste pour The Economist.

Personne à Shanghai ou ailleurs ne devrait cependant mourir de soif car en dernier recours, les personnes confinées peuvent toujours faire bouillir de l'eau du robinet. Mais cette situation montre pour l'instant l'impossibilité pour les autorités de suivre le rythme des ravitaillements. Sur Wechat ou Douyin (les équivalents chinois de WhatsApp et TikTok), des vidéos d'aliments périmés et jetés car ils n'ont pas pu être livrés à temps circulent d'ailleurs, provoquant la colère des habitants.

Drames et obstinations administratives

Divers témoignages disponibles sur les réseaux sociaux chinois mettent aussi en avant la difficulté à obtenir des médicaments ou d'autres soins médicaux de base.

Le 31 mars, un homme souffrant d'une maladie rénale et nécessitant une dialyse quotidienne apostrophait ainsi sur Weibo la ville de Shanghai pour lui demander de l'aide, rapporte le site spécialisé "What's on Weibo": "Je n'ai pas pu manger ou boire depuis 4 jours. Tout mon corps est enflé et je ne peux pas uriner. Je supplie le gouvernement de Shanghai de se dépêcher de me laisser faire une dialyse, s'il vous plaît, je ne peux pas mourir, j'ai des parents et des enfants dont je dois m'occuper, j'ai besoin de survivre. Aidez-moi". Un message partagé des dizaines de milliers de fois mais qui sera finalement supprimé par la plateforme.

En Chine, et particulièrement à Shanghai, ce genre de cas se multiplient. Sous pression pour étouffer la progression du virus, le personnel hospitalier relégue d'autres urgences médicales au second plan, avec des conséquences parfois dramatiques.

>> Réécouter à ce sujet le reportage de La Matinale à Shanghai :

La colère monte face aux mesures d'internement forcé des malade du Covid à Shanghai. [Xinhua/AP/Keystone - Ding Ting]Xinhua/AP/Keystone - Ding Ting
La colère monte face aux mesures d'internement forcé des malade du Covid à Shanghai / La Matinale / 2 min. / le 4 avril 2022

La dernière polémique en date touche la façon dont sont traitées les personnes testées positives au Covid-19, y compris les enfants en bas âge, qui sont alors séparés de leurs parents. Une vidéo publiée au cours du week-end a notamment suscité l'indignation: on y voit des bébés et des enfants entassés et laissés à l'abandon dans une unité pédiatrique.

Ces décisions radicales qui semblent aller à l'encontre du bon sens s'expliquent en partie par les exigences du pouvoir central. Si Xi Jinping a bien expliqué récemment qu'il fallait tenter de minimiser l'impact du virus sur l'économie et la vie des Chinois, dans les faits, les autorités locales sont toujours sanctionnées en cas de flambées de cas. De nombreux maires ou gouverneurs sont notamment punis ou licenciés pour ces raisons, ce qui semble les pousser à aller toujours plus loin dans la lutte contre le Covid.

>> Lire aussi : En Chine, la stratégie du "zéro-Covid" a atteint ses limites

Des situations de plus en plus ubuesques

Sur un plan peut-être plus léger mais sans doute tout aussi kafkaïen, les mesures mises en place dans certaines parties du pays poussent les Chinois et les Chinoises à improviser pour trouver des parades ubuesques à des problèmes qui semblent insolubles. Des images et des récits qui auraient pu faire sourire au début de la pandémie mais qui, près de deux ans après le premier cas détecté à Wuhan, font plutôt grincer des dents dans l'Empire du Milieu.

>> Le témoignage de Michael Peuker, correspondant de RTSinfo confiné à Shanghai :

Mesures sanitaires en Chine: la tension monte à Shangaï
Mesures sanitaires en Chine: la tension monte à Shangaï / Forum / 4 min. / le 7 avril 2022

La dureté du système de quarantaine est l'un des éléments les plus pointés du doigt. Dans la majorité des cas, si la quarantaine est décrétée, parce qu'on est positif ou tout simplement cas contact, il n'existe plus de moyens de mettre un pied dehors. Plus possible non plus de promener son chien. Alors on bricole, on trouve des solutions peu académiques, comme dans cette vidéo devenue virale où une habitante fait sortir son animal de compagnie à l'aide d'une très longue laisse, quitte à le mettre en danger.

La Chine de ce printemps 2022 est aussi celle de cet homme qui utilise une machine de massage afin de pouvoir cliquer à une fréquence plus élevée sur le bouton de validation de son application, pour être livré en nourriture, ce qu'il parviendra au final à faire. C'est celle de ce couple d'expatriés qui a décidé il y a plusieurs mois d'adopter un chien et qui voit soudainement l'éleveur qui s'en occupe pour l'instant être mis en quarantaine, sans possibilité pour lui de nourrir l'animal, resté dans un enclos. Le couple devra alors convaincre une voisine de le faire avant de payer sous le manteau un livreur disposant des passe-droits suffisants pour effectuer le trajet.

Ce type d'anecdotes fourmillent sur la toile chinoise mais elles ne font pas oublier les conséquences sociales des sacrifices imposés à la population chinoise. Une population qui semble d'ailleurs de moins en moins supporter ces entraves.

Il y a quelques semaines, à Shenzen, une foule excédée mettait ainsi à sac un centre de dépistage. Des mouvements de protestation ont maintenant lieu à Dachang, ville du Hebei proche de la capitale. Les habitants demandent la fin du confinement pour continuer à travailler à Pékin.

Pékin, un centre du pouvoir désormais surprotégé. Une correspondante du Washington Post racontait récemment que pour y accéder de l'étranger, il lui faudrait en tout et pour tout cinq semaines, soit deux semaines de quarantaine dans un centre dédié dans la ville d'atterrissage, une semaine supplémentaire dans un lieu choisi de la même ville, puis deux semaines supplémentaires à l'arrivée à Pékin.

Les autorités ont-elles vraiment le choix?

Les images de Shanghai diffusées actuellement rappellent quoi qu'il en soit cruellement celles de Wuhan au mois de février 2020. Des rues et des grandes artères complètement désertes et le silence presque total d'une ville d'habitude si bruyante.

Face à cela et malgré une certaine gronde populaire, le Parti communiste ne semble pas vouloir plier et il a même réaffirmé le week-end dernier le bien fondé de ses méthodes. Objectif, ramener Shanghai à 0 cas de Covid-19 d'ici à la fin du mois d'avril.

Pour Xi Jinping, qui doit être réélu pour un troisième mandat de secrétaire général du PCC au mois d'octobre, l'idée est sans doute d'éviter un scénario à la hongkongaise, où les morts se sont accumulées ces dernières semaines.

>> Revoir à ce sujet le reportage du 12h45 :

Hong-Kong confronté à une cinquième vague de Covid-19
Hong-Kong confronté à une cinquième vague de Covid-19 / 12h45 / 1 min. / le 12 mars 2022

En Chine continentale, près de 90% des habitants ont bien reçu leurs deux doses de vaccins made in China mais, tout comme dans l'ex-colonie britannique, les personnes les plus âgées ont boudé le sérum. Seuls un peu plus de la moitié des plus de 70 ans sont vaccinés et 20% des plus de 80 ans. Pour Pékin, le risque d'une hécatombe est donc pour l'instant trop grand.

Mais alors se pose la question de savoir si et quand la Chine se rouvrira au monde, car s'il peut être stoppé l'espace d'un instant, le Covid-19 continuera à frapper à la porte. Faudra-t-il alors à chaque fois appliquer de telles mesures? Et est-ce viable économiquement?

A l'heure où de plus en plus de citoyens chinois estiment que la cure administrée est désormais plus dangereuse que la maladie elle-même, Pékin acceptera-t-il un jour de "vivre avec le virus" ou continuera-t-il indéfiniment sa lutte 0-Covid, avec le risque de s'isoler toujours davantage?

Tristan Hertig

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