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"Si on n'abandonne pas les énergies fossiles, on court à une catastrophe absolument gigantesque"

Géopolitis: Guerre au climat [Adobe Stock]
Guerre au climat / Geopolitis / 26 min. / le 10 avril 2022
Alors que le nouveau rapport du GIEC confirme les pires prévisions de réchauffement, la guerre en Ukraine pourrait bien freiner les ambitions climatiques. La climatologue suisse Sonia Seneviratne insiste sur une sortie rapide du pétrole, du gaz et du charbon.

"C'est un dossier de la honte, qui répertorie les promesses vides qui nous mettent sur la voie d'un monde invivable", les mots du secrétaire général des Nations unies António Guterres pour qualifier le dernier volet du rapport du GIEC sonnent comme un réquisitoire adressé aux Etats et à leur inaction politique. A chaque rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), un nouveau cri d'alarme. Et pourtant, le constat du réchauffement climatique ne fait qu'empirer. Depuis l’ère préindustrielle, la planète a gagné en moyenne 1,1 degré. Les experts concluent à une accélération sans précédent qui pourrait atteindre +3,2 degrés d’ici la fin du siècle, bien au-delà de l’objectif de 1,5 degré des accords de Paris.

Pour inverser la tendance, "il faudrait des actions très fortes et très rapidement, dans un délai de moins de trois ans", alerte la climatologue Sonia Seneviratne dans Géopolitis. Professeure à l'EPFZ et co-auteure de plusieurs rapports du GIEC, elle espère une ultime prise de conscience. D'ici 2100, la planète va subir une augmentation sans précédent d'événements météorologiques extrêmes, canicules, sécheresses ou pluies diluviennes, selon les experts. Les conséquences sont déjà là. Selon l'Organisation météorologique mondiale, le nombre de catastrophes a été multiplié par 5 ces 50 dernières années.

Moins de gaz russe, plus de pollution?

"On n'arrivera pas à stabiliser le réchauffement climatique si on n’accepte pas de manière très claire de laisser les énergies fossiles dans le sol. Sinon, on va vers une catastrophe absolument gigantesque", poursuit Sonia Seneviratne. Or, la guerre en Ukraine pourrait bien remettre en cause les objectifs climatiques de certains Etats, inquiets de manquer de gaz et de pétrole russes.

L'Allemagne et la Grèce envisagent de relancer leur production de charbon, à l'image de la Chine, qui avait déjà augmenté sa production en raison de la reprise économique. Confrontés à la grogne sociale due à la flambée des prix, plusieurs pays, dont la France, ont décidé de subventionner le carburant. Au niveau mondial, le secteur des énergies fossiles reste par ailleurs massivement subventionné. Les Etats y ont consacré chaque année 600 milliards de dollars en moyenne sur les 10 dernières années, selon l'OCDE.

Pour s'émanciper toujours plus du gaz russe, dont ils dépendent à hauteur de 40%, les Européens se tournent aussi vers le gaz naturel liquéfié, notamment américain, plus polluant que celui transporté par gazoducs.

>> Sur le recours au GNL, écouter le sujet de Cléa Favre dans La Matinale :

Terminal pour méthaniers à Brunsbüttel en Allemagne. [Keystone - Frank Molter]Keystone - Frank Molter
Les Etats-Unis vont aider l'UE à réduire sa dépendance au gaz russe avec le GNL / La Matinale / 2 min. / le 28 mars 2022

Le virage des renouvelables

"La guerre en Ukraine a montré à quel point nous sommes dépendants de ces flux d'énergies fossiles", relève Sonia Seneviratne. Elle compte sur une prise de conscience des atouts des investissements dans les énergies renouvelables, qui "nous permettra aussi d'avoir des gains au niveau de la sécurité géopolitique."

Pour la chercheuse, le monde n'a pas d'autre choix qu'opérer un changement de cap radical. "On voit que les solutions sont bien meilleur marché maintenant qu'elles ne l’étaient il y a environ 20 ans, (...) que ce soit le solaire ou l'éolien", dit-elle. "Il y a aussi beaucoup de potentiel au niveau de la mobilité électrique. Donc on voit qu'il y a des solutions qui nous permettraient déjà de diminuer nos émissions de manière très claire en peu de temps." Le chemin est encore long. La forte dépendance aux énergies fossiles, toujours autour de 80% au niveau mondial, n'a pas diminué en 10 ans.

Mélanie Ohayon

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