Après plus d'un mois de combats, la Russie a annoncé concentrer son offensive sur l'est et sur certaines zones du sud de l'Ukraine. Une relative bonne nouvelle pour les sept sites ukrainiens inscrits à l'Unesco, qui se situent pour la grande majorité à l'ouest et dans le nord du pays. S'ils n'ont pour l'heure pas été touchés par les bombardements, ces lieux demeurent toutefois en grand péril, comme l'a récemment rappelé l'organisation internationale de préservation du patrimoine. Et ce, même si une législation spécifique est censée les protéger (lire encadré).
Du reste, l'Unesco a recensé pas moins de 80 autres lieux, bâtiments et monuments importants qui ont été partiellement ou totalement détruits. Certains d'entre eux étaient d'ailleurs candidats pour intégrer sa fameuse liste du Patrimoine mondiale, à l'image notamment du centre-ville de Tcherniguiv, dans le nord du pays. Un premier décompte rendu public le 1er avril faisait état de 53 sites endommagés.
Etendue des dégâts encore sous-estimée
Parmi les 80 sites endommagés, neuf se situent dans la région de Tcherniguiv. Treize autres se trouvent dans la région de Kiev et vingt-deux dans celle de Kharkiv, selon le dernier recensement de l'Unesco transmis à RTSinfo vendredi dernier. Le reste des sites endommagés est partagé entre les régions de Soumy (nord-est), Jitomir (à l'ouest de Kiev), Zaporojie (sud), Donetsk et Lougansk (est).
Il s'agit avant tout d'édifices religieux, de bâtiments historiques, de musées, de bibliothèques et de monuments dont l'Unesco a pu vérifier les dégâts par de l'imagerie satellitaire et des acteurs sur place, explique un porte-parole de l'organisation.
Et selon lui, l'étendue des dégâts est probablement sous-estimée et la liste risque encore de s'allonger. "D'autres sites sont en cours d'examen par nos experts et pourront s'y ajouter dans les prochains jours. Nous faisons en moyenne trois mises à jour de la liste par semaine."
Dans la région de Kharkiv, dont le patrimoine culturel et architectural paie pour l'instant le plus lourd tribut, l'emblématique palais de l'industrie de Derzhprom, le plus grand bâtiment du monde par son volume lorsqu'il a été achevé en 1928, n'a eu par chance que quelques vitres cassées. Toutefois, à proximité, les bombardements n'ont pas épargné plusieurs bâtiments importants, comme le musée d'art de Kharkiv, la Cour d'Appel, le Théâtre académique national de l'Opéra et du Ballet ou encore l'immeuble Slovo, édifice construit à la fin des années 1920 pour héberger les écrivains qui ont revitalisé la littérature ukrainienne avant de subir les persécutions de l'ère stalinienne.
Près de Kiev, l'Unesco déplore entre autres le bombardement, au tout début du conflit, du musée d'histoire locale d'Ivanki. Dans l'incendie qui a suivi, vingt-cinq tableaux de Maria Prymachenko, célèbre artiste autodidacte admirée par Picasso et Chagall, sont notamment partis en fumée.
Le cœur de la ville historique de Tcherniguiv, qui était officiellement candidat au Patrimoine mondial de l'Unesco, a également fait les frais des combats. Parmi les neuf sites touchés, il y a la Bibliothèque scientifique universelle régionale de Korolenko, bâtie entre 1910 et 1913, ou encore le bâtiment du centre régional de la jeunesse, anciennement le cinéma Shchors, construit en 1939.
Les sites de l'Unesco jusque-là préservés
En ce qui concerne les sept sites ukrainiens inscrits sur la liste du Patrimoine mondial de l'Unesco, il semblerait qu'ils n'aient pas subi de dommages. Toutefois, ceci "ne veut pas dire qu'il n'y en a pas", selon le porte-parole de l'Unesco.
1. Cathédrale Sainte-Sophie de Kiev
Sacs de sable posés à l'entrée de bâtiments historiques, statues littéralement emballées dans des bâches de protection, tableaux et oeuvres d'art retirés des musées: depuis le début de la guerre en Ukraine, les autorités de Kiev, aidées notamment par de nombreux bénévoles, se sont mobilisées pour protéger tant bien que mal le riche patrimoine de la ville.
Au coeur des préoccupations, la cathédrale Sainte-Sophie de Kiev, dont les fondations remontent au 11e siècle, est située dans le centre historique de la capitale. Le monument et ses alentours constituent certainement le site le plus connu du pays, avec ses clochers à bulbes dorés, ses mosaïques, ses sculptures et ses icônes.
Cette cathédrale est un lieu hautement symbolique pour les Ukrainiens et pour le monde orthodoxe: elle avait notamment été conçue pour rivaliser avec la Sainte-Sophie de Constantinople.
Cet édifice a été inscrit en 1990 sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco avec deux autres monuments de la capitale: l'ensemble monastique de la laure de Kiev-Pechersk et l'église du Sauveur à Berestovo.
2. Arc géodésique de Struve
La liste de l'Unesco inclut également depuis 2005 un site transfrontalier: l'arc géodésique de Struve, un ensemble de repères géographiques bâtis au 19e siècle et traversant dix pays, de la Norvège jusqu'à la mer Noire. Outre la Russie et la Biélorussie, l'Ukraine en compte quatre.
Certes plus confidentiels, ces quatre monuments de petite taille disséminés du nord au sud de l'Ukraine n'en demeurent pas moins exceptionnels. Selon les informations de l'Unesco recueillies jusqu'à maintenant, ils auraient jusqu'à présent échappé aux bombardements.
3. Résidence des métropolites de Bucovine et de Dalmatie, à Tchernivtsi
La Résidence des métropolites de Bucovine et de Dalmatie, ensemble architectural situé dans la ville de Tchernivtsi, a fait son entrée en 2011 dans la liste du Patrimoine mondial de l'Unesco. Cet imposant complexe religieux avec monastère, église, séminaire, jardin et parc, a été construit au 19e siècle. Les huit hectares de ce site abritent aujourd'hui l'université de la ville.
Située tout à l'ouest de l'Ukraine, à la frontière avec la Roumanie, la Résidence des métropolites de Bucovine et de Dalmatie n'a pas du tout souffert de la guerre, mais reste toutefois au coeur des préoccupations de l'Unesco.
4. Tserkvas en bois de la région des Carpates
Depuis 2013, la liste de l'Unesco comprend une série d'églises Tserkvas en bois de la région montagneuse des Carpates, réparties entre la Pologne et l'Ukraine. Huit de ces églises construites en rondins de bois par des communautés de confessions orthodoxe et grecque-catholique entre le 16e au 19e siècle se trouvent sur le sol ukrainien, dans l'ouest du pays.
5. Ensemble du centre historique de Lviv
Tout comme à Kiev, le centre historique de Lviv, dans l'ouest, a vu nombre de ses monuments et édifices recouverts de sacs de sable ou emmitouflés dans des couvertures de protection. Il faut dire que cette ville de 700'000 habitants riche en places, cathédrales et autres statues figure depuis 1998 au Patrimoine mondial de l'Unesco.
Fondée à la fin du Moyen-Age, Lviv a conservé pratiquement intacte sa topographie urbaine médiévale. Aujourd'hui, le patrimoine architectural et artistique qui subsiste témoigne d'une synthèse de traditions d'Europe de l'Est influencées par celles d'Italie et d'Allemagne.
Le site comporte deux éléments: la zone principale constituée du château, de ses alentours et du centre-ville, et vers le sud-est, une plus petite zone sur la colline de Saint-Georges avec sa cathédrale de style baroque-rococo.
6. Cité antique de Chersonèse Taurique et sa chôra, Sébastopol (Crimée)
A priori, cette cité antique classée à l'Unesco en 2013 ne court pas de risque particulier. En effet, ce site ancien est situé à Sébastopol, en Crimée, territoire annexé par la Russie en 2014. Si cet ensemble de vestiges appartenant à une cité fondée au 5ème siècle avant J-C par les Doriens grecs au bord de la mer Noire se situe loin des combats, il fait toutefois partie des lieux en péril, selon l'Unesco.
7. Forêts primaires de hêtres des Carpates
Ce site transnational classé à l'Unesco depuis 2007 s'étend sur une vingtaine de pays, dont l'Allemagne, la France, l'Italie, la Suisse, ou encore la Pologne. Il est composé de 94 éléments constitutifs, dont 15 se trouvent en Ukraine.
Fabien Grenon
Patrimoine protégé par la Convention de La Haye
La Russie, tout comme l'Ukraine d'ailleurs, a signé la Convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, l'engageant par conséquent à ne pas s'attaquer au patrimoine ukrainien. Mais ceci n'a pas empêché la destruction complète ou partielle de plusieurs sites d'exception, comme l'a déploré à plusieurs reprises depuis le début du conflit l'Unesco.
"Toute violation de ces normes engagera la responsabilité internationale de ses auteurs", a notamment rappelé la directrice générale de l'Unesco Audrey Azoulay dans un courrier envoyé le 17 mars au ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov.
Sans compter que, sur place, l'Unesco est à l'oeuvre avec les professionnel de la culture. Les sites d'importance sont ornés d'un bouclier bleu (photo ci-dessous) indiquant qu'ils sont sous la protection de la convention de La Haye. Outre la préservation espérée de ces lieux, la mesure doit également servir d'instrument de contrainte pour les belligérants.