Leonid Volkov: "Il faut présenter la vérité, même douloureuse, au peuple russe"

Depuis sa prison en Russie où il a été condamné à une peine de neuf ans de réclusion, l'opposant russe Alexeï Navalny suit avec une attention particulière la guerre en Ukraine. Privé de parole, il la transmet par le biais de ses conseillers. Le plus proche d'entre eux, Leonid Volkov, était ces derniers jours à Genève où il participait au Geneva Summit pour les droits humains et la démocratie.

Dans une interview accordée à la RTS et diffusée jeudi dans l'émission Tout un monde, Leonid Volkov assure qu'Alexeï Navalny va bien, qu'il a bon moral et qu'il est parfaitement au courant de la situation en Ukraine.

Lui et son entourage analysent l'invasion de l'Ukraine comme une erreur de Vladimir Poutine. "Presque tous les dictateurs en font une à un moment de leur carrière", fait remarquer Leonid Volkov en évoquant une volonté de mener "une petite guerre victorieuse pour regagner l'amour et la popularité".

Il pensait qu'une invasion en Ukraine serait également une promenade de santé.

Le président russe, rappelle cet opposant, a fait cette expérience en 2014 lorsque l'annexion de la Crimée lui a permis d'augmenter énormément sa popularité auprès des Russes.

"Il pensait qu'une invasion en Ukraine serait également une promenade de santé. Il était mal informé. Et il a mal calculé, bien sûr. Il ne s'attendait pas à ce que l'armée ukrainienne résiste (…) Il ne s'attendait pas non plus à la réponse occidentale, qui a été forte, rapide et unie".

Un homme qui a la mainmise sur le pouvoir dans un pays nucléaire est dangereux.

C'est peut-être notamment parce que Vladimir Poutine est enfermé dans son monde, quasiment sans aucun contact extérieur. En 2014, déjà, après l’annexion de la Crimée, Angela Merkel estimait qu'il était déconnecté de la réalité.

"Elle a dit qu'il n'était pas en lien avec la réalité, et c'est vrai", note Leonid Volkov. "Le problème est qu'après confirmation de ce fait, l'Occident aurait dû commencer à agir en conséquence, faire quelque chose. Un homme qui n'est pas en contact avec la réalité mais qui a la mainmise sur le pouvoir dans un pays nucléaire (…) est dangereux".

Mais l'Occident s'est contenté d'observer pendant de très nombreuses années tandis que ce détachement de la réalité s'accentuait, déplore ce proche conseiller d'Alexeï Navalny. "Et cela nous a amenés au point où nous en sommes aujourd'hui".

Trois scénarios possibles pour une sortie de crise

Pour sortir de cette situation, Leonid Volkov voit trois possibilités: le décès de Vladimir Poutine, une révolte populaire ou un coup d’Etat du cercle rapproché. Mais il estime que la probabilité est faible pour chacune de ces trois options à court terme.

"Son emprise sur le pouvoir est en effet très forte", relève-t-il. "Et c'est une réponse à une question que beaucoup de gens posent: pourquoi les gens ne protestent-ils pas tout simplement? C'est parce que vous risquez quinze ans d'emprisonnement si vous manifestez même avec une simple pancarte blanche".

La majorité de l'élite russe est désormais très mécontente de ce que fait Poutine.

L'expression publique de la dissidence est impossible en Russie, rappelle Leonid Volkov. "Pourtant, nous avons vu dans de nombreux pays dirigés par des dictateurs que, soudainement, quelque chose éclate et que l'opinion publique change rapidement".

Cela pourrait se produire en Russie, mais d'autres scénarios sont également envisageables, comme une scission de l'élite ou un coup d'Etat au Kremlin. "C'est également une possibilité, car la majorité de l'élite est désormais très, très mécontente de ce qui se passe et de ce que fait Poutine".

Le poids des sanctions internationales

Les sanctions contre la Russie sont désormais très nombreuses et pour l’entourage d’Alexeï Navalny, c'est un élément primordial. "Elles sont importantes, affirme Leonid Volkov, "parce que leur objectif principal est de priver Poutine des fonds pour soutenir son effort militaire".

Mais elles contribuent également à provoquer des turbulences au sein de l'élite politique russe, "c’est pourquoi elles sont importantes et ne doivent pas être levées, même en cas de cessez-le-feu".

Le pire scénario possible pour la Russie, pour l'Ukraine et pour le monde, serait que le système soit capable de retrouver un autre équilibre, estime Leonid Volkov. "Si par exemple il y a un cessez-le-feu avec une nouvelle ligne de démarcation, alors nous savons parfaitement ce que fera Poutine: il passera encore plusieurs années à préparer sa vengeance".

La propagande russe ne suit pas le modèle de Staline mais celui de Goebbels.

Depuis le début de l’invasion de l'Ukraine, une campagne de propagande sans précédent dans l'histoire récente est menée par les médias russes.

"Elle ne suit pas le modèle de Staline mais celui de Goebbels", assène Leonid Volkov. "Ils aiment vraiment, d'une manière très orwellienne, expliquer aux gens que deux plus deux égalent 17, parce que c'est ce qu'a dit le président Poutine. La propagande est beaucoup plus forte et beaucoup plus dangereuse que probablement n'importe quel exemple historique".

Produire un maximum d'informations indépendantes

Pour Leonid Volkov, il y a tout de même des moyens de la contourner mais il faut être persistant et patient. "Nous avons converti notre organisation en un site de production médiatique car nous devons produire autant de contenus indépendants que possible", explique-t-il.

"Et nous parvenons à atteindre le public, notre audience hebdomadaire est désormais de 35 à 40 millions de personnes. C'est beaucoup et c'est un moyen très efficace de contrer la propagande (…) Il faut présenter la vérité au peuple russe même si c'est douloureux".

L'exposition de la corruption a provoqué des protestations sans précédent.

Autre combat majeur d’Alexeï Navalny, la lutte contre la corruption doit elle aussi être poursuivie. Car ses révélations sur des cas emblématiques ont eu un impact sur la société russe.

"Cette exposition de la corruption a provoqué des protestations sans précédent (…), des centaines de milliers de personnes ont protesté et cela ne peut être défait. Même les gens qui soutiennent Poutine dans son action militaire savent au fond d’eux-mêmes qu'il est corrompu, et à un moment donné, cela jouera son rôle".

De l'optimisme en dépit de tout: c’est le message que veut transmettre Alexeï Navalny depuis sa colonie pénitentiaire, à une centaine de kilomètres de Moscou.

Propos recueillis par Patrick Chaboudez/oang