"Ce qui n'avait pas été arrêté dans les années 1990 en Bosnie, devient plus visible encore à travers l'Europe et le monde", a déploré la maire de Sarajevo, Benjamina Karic, lors de la cérémonie de commémoration organisée dans la Bibliothèque nationale, symbole des destructions commises pendant le siège, aujourd'hui reconstruite.
Pendant 44 mois, les 360'000 habitants de la capitale, pris au piège, ont résisté aux bombardements qui partaient des hauteurs de la ville. Plus de 11'500 personnes, dont 1600 enfants et adolescents, ont été tuées et plus de 50'000 blessées.
De cette ville, symbole de la résistance, nous disons qu'il ne faut jamais perdre l'espoir et renoncer au combat pour un meilleur avenir
En parlant de Sarajevo, alors que le monde découvrait avec horreur les cadavres abandonnés par les troupes russes dans Boutcha, Benjamina Karic semblait aussi adresser des mots d'encouragement pour les villes ukrainiennes assiégées. "Abandonnée par quasiment tout le monde, sans armes, sans électricité, sans eau, sans nourriture, sans gaz, Sarajevo ne s'est jamais rendue", a-t-elle souligné.
Velléités nationalistes serbes
Trente ans plus tard, les stigmates de la guerre de Bosnie, qui fit 100'000 morts, n'ont cependant pas disparu et le risque de conflit s'accroît au fur et à mesure que la crise politique s'enlise.
"Nous craignons que la Russie encourage la Serbie à nous attaquer", explique à la RTS Asim Smajlovic, ancien capitaine de l'armée bosniaque. "En Bosnie, nous vivons ensemble en paix. Mon meilleur ami est serbe, mais les politiciens veulent nous séparer", assure-t-il.
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Depuis des mois, les Croates et musulmans de Bosnie observent avec inquiétude la résurgence du nationalisme serbe dans leur pays. Le gouvernement local de la République serbe de Bosnie a pris les devants pour créer des institutions indépendantes, un premier pas vers une possible sécession.
Or, ce projet séparatiste, largement alimenté par le leader nationaliste Milorad Dodik, réputé proche de Vladimir Poutine, ferait voler en éclats les accords de paix de Dayton et conduirait inévitablement à de nouvelles violences.
Reconnaître Srebrenica
La tension a augmenté d'un cran cette année alors que les Serbes de Bosnie célèbrent le 30e anniversaire de la proclamation de la République serbe autonome, une commémoration interdite par la justice bosnienne et qui ravive les tensions entre communautés.
L'interdiction du déni du génocide de Srebrenica, qui coûta la vie à plus de 8000 hommes musulmans en juillet 1995, rend également furieux les dirigeants des Serbes de Bosnie. Son déni est désormais passable d'emprisonnement, selon le Code pénal bosnien.
Nous sommes prisonniers de ce passé. Nous sommes prisonniers de ces politiques, encore actuelles, ces politiques fascistes
A l'époque, pour échapper au nettoyage ethnique, Djilé, rencontré en février dans la région de Srebrenica, a parcouru près de 100 kilomètres à pied à travers les champs de mine et la forêt. Aujourd'hui, celui qui fut un temps réfugié à Clarens, dans le canton de Vaud, dit craindre que tout recommence. "Le nettoyage ethnique, les viols des femmes, tout ceci peut se répéter", estime cet homme qui se dit prêt à se battre. "Il y a assez de place pour nous tous ici: les Serbes, les Croates, les Bosniaques, les gitans et les juifs", ajoute-t-il.
Pressions de Moscou
Côté serbe, pourtant, on regrette que les victimes serbes soient trop souvent oubliées. "Tant qu'on insiste sur le fait que les Serbes ont commis un génocide, je pense qu'il ne peut pas y avoir de réconciliation ni de vivre ensemble", estime Vojin Pavlovic, le président de l'association "Alternative de l'Est, une organisation nationaliste serbe. Pour lui, "le génocide de Srebrenica tel que présenté par la communauté internationale et les accusateurs de la République serbe n'a pas eu lieu".
Pour rajouter aux tensions, l'ambassadeur russe à Sarajevo a déclaré fin février à la chaîne de télévision bosnienne que la Russie n'hésiterait pas à "réagir" si la Bosnie tentait de se rapprocher de l'Otan.
Ces menaces ouvertes sur fond de guerre en Ukraine, alors que Moscou accentue la pression sur le Donbass et l'est de l'Ukraine, alimentent les scénarios les plus redoutés par des millions de Bosniens et Bosniennes de toutes les communautés, qui n'aspirent qu'à la paix.
Juliette Galeazzi, avec Laurent Burkhalter