A 20 heures, un silence atterré s'est abattu sur la salle parisienne dans laquelle le Parti socialiste (PS) attendait le résultat de sa candidate Anne Hidalgo. Avec un humiliant 1,75% des voix au premier tour de l'élection présidentielle, le parti enregistre un échec historique.
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Il est loin le temps où un candidat, François Mitterrand en 1974, agrégeait près de la moitié des électeurs (43,25%) ou même celui où François Hollande convainquait un tiers des votants avec 28,63% des voix en 2012. C'est sous le mandat de ce dernier que la chute de la maison socialiste, minée par ses divisions idéologiques et ses batailles d'ego, s'est accélérée.
Dernier président estampillé PS, François Hollande avait même fini par renoncer à se présenter à un second mandat en 2017. Un candidat pourtant venu des rangs socialistes, Emmanuel Macron, lui avait coupé l'herbe sous le pied en lançant son propre parti, "En marche", étiquette centriste sous laquelle il se présente et est élu en 2017.
Désigné candidat socialiste, Benoît Hamon ne récoltera pour sa part que 6,36% des voix.
Une gauche "dispersée"
La maire de Paris Anne Hidalgo, 62 ans, a enregistré dimanche une défaite encore plus cuisante. Sa campagne -qui n'a jamais réussi à décoller- a été marquée par des propositions qualifiées d'irréalistes ou démagogiques, comme le doublement du salaire des enseignants, et des tergiversations sur l'organisation d'une primaire pour rassembler la gauche.
Nous travaillerons au rassemblement de la gauche dispersée qui n'a pas su s'unir (...) pour retisser en profondeur les liens (...) avec les classes populaires
Si la socialiste a appelé à voter le 24 avril pour Emmanuel Macron afin de contrer l'extrême droite, elle a aussi promis que le combat continuerait "pour faire obstacle aux projets injustes" portés selon elle par le président sortant et pour rassembler la gauche "dispersée".
Pour le politologue et ancien élu de droite Dominique Reynié, qui situe le début du déclin du PS au milieu des années 80, "la gauche n'a jamais pu retrouver ses classes populaires, parce qu'au lieu de faire une espèce de révolution, ils sont restés un parti des élus et fonctionnaires. Ce n'est pas illégitime mais ce n'est pas suffisant", estime-t-il.
La droite prise en étau
A droite, la présidente de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse, finit elle aussi dans le décor, avec 4,8%, un score sans précédent pour sa formation et qui oblige la candidate malheureuse à lancer un appel aux dons pour financer sa campagne (lire encadré).
Si elle avait un temps créé l'illusion en montant haut dans les sondages après sa désignation à l'issue d'une primaire militante, Valérie Pécresse a échoué à imposer un discours clair entre la radicalisation d'une partie des Républicains (LR) et l'affirmation d'une droite républicaine étanche aux idées de l'extrême droite. Elle a aussi échoué à incarner le leader que Les Républicains peinent à trouver depuis la défaite de son chef et président sortant Nicolas Sarkozy en 2012.
J'ai dû batailler sur deux fronts. Contre le camp du président sortant et contre celui des extrêmes, alliés pour diviser et battre la droite républicaine
"C'est une déception personnelle et collective", a reconnu dimanche Valérie Pécresse. Rappelant "(son) engagement contre les extrêmes", elle a aussitôt annoncé qu'elle voterait "en conscience" pour Emmanuel Macron au deuxième tour.
Aujourd'hui, l'existence même des Républicains est en jeu, alors que les voix de ses électeurs se dispersent entre Emmanuel Macron, la candidate du Rassemblement national Marine Le Pen, qualifiée pour le deuxième tour, et l'essayiste d'extrême droite, Eric Zemmour.
Effet Macron
Après avoir dynamité le Parti socialiste il y a cinq ans -un enterrement confirmé dimanche par le score d'Anne Hidalgo- le positionnement "ni de droite ni de gauche" d'Emmanuel Macron frappe donc de plein fouet le centre-droit. Son programme économique lui fait souvent écho, de même que le durcissement de son positionnement sur la sécurité et l'immigration, empêchant toute confrontation réelle.
Nous ne sommes fongibles ni dans le lepénisme, ni dans le macronisme (...) L'enjeu c'est les législatives, ce qui compte c'est l'unité et l'indépendance
"Nous assistons à une recomposition de la vie politique française avec cette nouvelle bipolarité entre les centristes et l'extrême droite. Et avec les partis traditionnels de gouvernement, le PS et les Républicains, qui disposent ensemble de moins de 10% des voix. Cela en dit long sur l'évolution politique de la France", a déclaré à l'AFP le politologue Gaspard Estrada.
Horizon 2027
Socialistes comme Républicains vont désormais avoir les yeux tournés vers les élections législatives de juin, qui s'annoncent comme un enjeu quasi vital. Le Parti socialiste dispose actuellement de 25 députés sur 577. Côté Républicains, parti majoritaire au Sénat, on espère aussi sauver les 101 députés à l'Assemblée.
"Ca va vraiment poser des questions de survie, parce qu'en France les dotations publiques qui financent l'essentiel des partis politiques sont calculées en fonction du résultat des législatives et du nombre de députés. S'il s'ajoute au très mauvais score de la présidentielle une débâcle à l'élection législative (...), la question de la survie du parti dans sa forme actuelle va se poser", estime Frédéric Sawicki, professeur en Sciences Politiques à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Passé le mois de juin, une autre bataille commencera, celle de la présidentielle 2027. Car même si Emmanuel Macron est réélu le 24 avril, ce sera son dernier mandat. Ressusciter ou mourir, dans cinq ans, les partis traditionnels devront être prêts.
Juliette Galeazzi (avec AFP)
Appels aux dons lancés à droite et chez les Verts
Valérie Pécresse a lancé lundi "un appel national aux dons" pour boucler le financement de sa campagne pour l'élection présidentielle française, en se disant "endettée personnellement" de cinq millions d'euros.
Arrivée cinquième du premier tour dimanche, avec 4,79% des suffrages exprimés selon des résultats partiels, la candidate des Républicains n'a pas atteint le seuil de 5% qui garantit le remboursement des frais de campagne.
"J'ai besoin de votre aide d'urgence d'ici le 15 mai pour boucler le financement de cette campagne présidentielle (...) il en va de la survie des Républicains et au-delà, de la survie de la droite républicaine", a-t-elle déclaré à la presse.
Valérie Pécresse a jugé que la situation financière de sa campagne était "critique", puisque LR ne pourra pas obtenir les sept millions d'euros de remboursement de frais de campagne escomptés.
Le candidat écologiste Yannick Jadot, arrivé sixième du premier tour avec 4,58% des voix, a déjà lancé un appel comparable dimanche soir. (afp)