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Pourquoi la position de la Chine reste si ambiguë face à la guerre en Ukraine

Vladimir Poutine et Xi Jinping à Saint-Pétersbourg en juin 2019. [Pool/AP/Keystone - Dmitri Lovetsky]
La Chine reste ambiguë sur sa position dans la guerre entre l'Ukraine et la Russie / Tout un monde / 5 min. / le 13 avril 2022
Les autorités chinoises marchent sur une corde raide géopolitique depuis le début de la guerre en Ukraine, tiraillées entre leur partenariat avec Moscou et leur dépendance à l’Occident. De fait, les intérêts fondamentaux de Pékin et de Moscou sont à la fois alignés et divergents.

Pressée de prendre position sur l'agression russe, la Chine refuse de dévier de sa ligne qualifiée de neutre. Pour son président Xi Jinping, il n'est pas question de lâcher Vladimir Poutine, en tout cas pour l'instant. Cette ambiguïté tient aux liens complexes entre les deux pays, qui ont opéré un rapprochement spectaculaire ces dernières années, et à certains aspects contre-nature de leur relation.

Est-ce un rapprochement durable, une quasi-alliance ou un mariage de raison éphémère, voire précaire? Les experts peinent à s'accorder sur la définition de cette relation, sans doute parce qu'elle est solide et fragile à la fois. Le paradoxe de ce lien Chine-Russie s'explique par le fait que leurs intérêts fondamentaux sont alignés en même temps qu'ils divergent.

Yun Sun, directrice du programme Chine au Stimson Center (think tank indépendant basé à Washington), étudie les relations internationales de la Chine avec les régimes autoritaires de la planète. Elle a observé de près le développement de l'axe Pékin-Moscou ces dernières années.

Xi Jinping qui admire la culture russe, j’appelle ça le complexe russe.

Yun Sun

"La Chine comme la Russie se sentent marginalisées dans le système international, exclues par l'Occident", a-t-elle relevé mercredi dans l'émission Tout un monde de la RTS. "Elles partagent un ennemi commun et une inquiétude sécuritaire commune. C'est ça le fondement de leur alignement."

Cette spécialiste relève aussi le rôle des deux dirigeants, celui de Xi Jinping en particulier, qui admire la culture russe. "J'appelle ça 'le complexe russe', un phénomène qui caractérise de nombreux dirigeants chinois nés au début des années 1950. Tout au long de leur enfance, les systèmes politique, économique, idéologique et militaire soviétiques étaient tous considérés comme supérieurs."

Volonté commune de redessiner l'ordre mondial

Si cette admiration a potentiellement pris un coup face aux revers, aux erreurs de calculs de Moscou en Ukraine, le socle de la relation Chine-Russie reste indemne: l'opposition à l'Occident, Etats-Unis en tête, reste essentielle à leur proximité. Les deux pays veulent réduire l'influence de cet adversaire pour redessiner l'ordre mondial.

Concrètement, la Chine et la Russie veulent avoir les mains libres. Elles ne veulent pas d'un système dont les institutions sont basées sur les valeurs libérales occidentales qui ont prévalu à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il s'agit de puissances révisionnistes qui nourrissent le désir d'installer leurs normes, leurs valeurs autoritaires, leurs tribunaux, pour ne plus être sujettes au diktat des valeurs universelles promues par les démocraties.

Mais, comme l'analyse Yun Sun, Chine et Russie ont deux méthodes diamétralement opposées pour arriver à leurs fins: les Chinois veulent réformer l'ordre mondial alors que les Russes veulent le détruire.

La croissance de la Chine a été possible par son intégration au sein de l’économie mondiale.

Yun Sun

"La Chine a énormément bénéficié du système actuel. Prenez le libre-échange: l'accession de la Chine à l'Organisation mondiale du commerce en 2001 est à l'origine du miracle économique qui a débuté au début de cette décennie. La croissance à deux chiffres a été rendue possible par l'intégration de la Chine au sein de l'économie mondiale, non pas par son exclusion. Il y a donc beaucoup de choses que la Chine veut préserver."

Le puissant levier des ressources économiques

Il n'est donc pas question de tuer la poule aux œufs d'or. Pékin tire sa puissance de ses ressources économiques et s'en sert dans le cadre de coopération internationale ou de sanctions. C'est un moyen de coercition efficace pour contraindre ses adversaires à aller dans son sens. La Chine a par exemple récemment actionné ce puissant levier contre l'Australie ou la Lituanie.

La Russie n'a évidemment pas cette puissance, elle reste un nain économique. Avant l'invasion de l'Ukraine, son PIB était déjà inférieur à celui du Benelux (Belgique, Pays-Bas et Luxembourg).

La Russie adopte naturellement une stratégie du chaos.

Yun Sun

Mais la directrice du programme Chine au Stimson Center relève que la puissance russe est ailleurs. "La Russie dispose d'une armée forte, d'une diplomatie habile, de services de renseignements expérimentés", rappelle-t-elle. "Il s'agit essentiellement d'une puissance de destruction. La Russie adopte donc naturellement une stratégie du chaos". Elle se crée ainsi, généralement, des opportunités qui lui permettent de peser plus lourd que son poids réel", souligne Yun Sun. "La Russie peut donc atteindre des objectifs normalement hors de portée au vu de son influence économique."

Des méthodes et des intérêts contradictoires in fine

Il s'agit donc d'une réalité et d'une approche diamétralement opposées à celle de Pékin. "La Russie préfère l'instabilité dont elle parvient à tirer des avantages, mais la Chine, elle, préfère la stabilité. C'est parce que, pour mettre en place une politique de coopération ou de coercition économique, il faut un environnement relativement stable."

Leurs méthodes, voire leurs intérêts, semblent finalement contradictoires, d'où le risque, pour la Chine, de se rapprocher d'un tel partenaire. La guerre en Ukraine exemplifie le potentiel danger pour Pékin: Xi Jinping a, selon toute vraisemblance, également été pris de court par les décisions de Vladimir Poutine.

Mais pour Yun Sun, la Chine fait constamment une pesée d'intérêts. "Ils font un calcul coûts-bénéfice: en Chine, le fait que la Russie soit une puissance destructrice n'est pas remis en question, tout le monde en est conscient", explique-t-elle.

Vaincre sans se battre est l’art de la guerre dans la culture traditionnelle chinoise.

Yun Sun

Le débat réside plutôt dans la question de savoir quelle part de cette puissance de destruction peut être utilisée au bénéfice de la Chine et pour combien de temps: "Le recours à la force n'est pas le point fort de la Chine", poursuit cette observatrice.

C'est parce que la Chine n'a pas l'armée la plus puissante, mais aussi parce que vaincre sans se battre est l'art de la guerre dans la culture traditionnelle chinoise, rappelle Yun Sun. "Donc, quand la Chine voit les Etats-Unis augmenter la pression autour de Taïwan et dans le Pacifique, les Chinois se disent que si les Russes agissent de leur côté, ils bénéficient au moins d'une diversion."

Pour l'heure, l'opposition à l'Occident reste le moteur fondamental de ce partenariat. Mais la Chine n'hésitera pas à lâcher la Russie si c'est dans son intérêt.

>> Lire aussi : La Chine profite de la guerre en Ukraine pour tirer son épingle du jeu

Michael Peuker/oang

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Washington met en garde Pékin

Mercredi, la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, a mis en garde mercredi la Chine quant à sa position vis-à-vis de la Russie. Celle-ci menace selon elle son "intégration" dans l'économie mondiale.

"L'attitude du monde envers la Chine et sa volonté d'embrasser une intégration économique plus poussée pourraient bien être affectées par la réaction de la Chine à notre appel à une action résolue contre la Russie", a averti la ministre de l'Economie et des Finances de Joe Biden, dans un discours à l'Atlantic Council.

Elle a, plus largement, fustigé les pays et entreprises qui n'ont pas rompu leurs liens commerciaux avec la Russie. Selon elle, ces pays espèrent sans doute "remplir le vide laissé par les autres en préservant leurs relations avec la Russie. Ce genre de motivations ne tient pas sur le long terme".