Imaginerait-on des protestants en Espagne, des juifs en Irak, des musulmans au Japon, des catholiques dans la péninsule arabique ou encore des bouddhistes en Israël ? L'émission Forum est partie à la rencontre de minorités religieuses dont on ne soupçonnerait pas l'existence.
Une série proposée par Mehmet Gultas
Adaptation web: Antoine Schaub
Des protestants en Espagne
Une minorité qui souffre de méconnaissance
C’est une minorité à peine visible, qu'on évoque peu dans une Espagne où le catholicisme domine. Le protestantisme a pourtant un double visage: c’est la seconde confession après le catholicisme si l’on se base sur le nombre de lieux de culte.
Elle concerne 2% de la population. Entrés par Gibraltar au 16ème siècle, les évangéliques se sont réellement implantés au XIXe siècle en Espagne. Si les protestants n’ont aucun problème pour exercer leur foi en Espagne, certaines inégalités demeurent.
"Le cadre juridique repose en Espagne sur une inégalité: l’existence d’une relation privilégiée avec l’Eglise catholique", explique dans Forum Carolina Bueno, secrétaire exécutive de la Fédération des entités religieuses évangéliques d’Espagne.
"Situations incompréhensibles"
Carolina Bueno continue: "Cela entraîne donc des inégalités pour la liberté religieuse des citoyens, et entre en contradiction avec le droit à l’égalité et à la liberté inscrit dans la Constitution. Ces inégalités, sans justification, entraînent des situations incompréhensibles."
Les inégalités pour la liberté religieuse des citoyens entrent en contradiction avec la Constitution
Il est par exemple impossible de cocher la case sur la déclaration des impôts pour financer des œuvres sociales de l’Eglise protestante. Cette case n’est réservée que pour l’Eglise catholique.
Carolina Bueno évoque aussi la cotisation sociale des pasteurs. Entrée en vigueur en 1977 pour les catholiques, il faudra attendre 1999 pour que les protestants y aient droit. Mais aucune rétroactivité n’a pu être admise malgré une condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme.
Discriminés sous le franquisme
Face à une telle discrimination, les protestants sont en colère et se sentent blessés. Cette réalité est d'autant plus difficile pour eux que cette confession a déjà énormément souffert durant le franquisme. Les protestants étaient considérés comme suspects, traités de "judéo-francs- maçons et de communistes ".
Au-delà des discriminations actuelles, Carolina Bueno évoque surtout une méconnaissance: "Ce qui me surprend, c’est que nous sommes une minorité très méconnue. Et à tous les niveaux. Par les Espagnols en général. Notre histoire, notre foi, reste peu connue. Nous ne parvenons même pas à ce que les médias nous désignent correctement, ils nous appellent les évangélistes!"
Être juif en Irak
Vivre sa foi en cachette pour vivre normalement
Plus de sept décennies après leur exode massif d’Irak, les juifs irakiens ne sont plus qu'une infime poignée. Pourtant, les racines juives remontent à 2600 ans. Le Talmud de Babylone a été écrit sur la terre du patriarche Abraham, à Ur, au sud de l’Irak.
Sous domination ottomane, 40% de la population irakienne était juive. A la création de l’Etat d’Israël en 1948, l’Irak comptait 150'000 juifs. S'en suit une chute démographique brutale. Entre 1950 et 1951, 120'000 juifs irakiens quittent l’Irak, la plupart vers l’Etat hébreu, lors d’une opération appelée Tasquit al Jinsiya, littéralement "déchéance de la nationalité", la condition pré-requise pour un départ sans retour.
"Ne pas révéler qui tu es"
Parmi cette communauté juive en Irak, il y a Michel, la quarantaine. Contrairement à ses parents et frères et sœurs, émigrés aux Etats-Unis, il est resté vivre au centre de Bagdad. Il livre dans Forum un témoignage rare: "D’un point de vue idéologique, je n’ai jamais pu trouver une ouverture qui me permette d’être moi-même."
J’ai eu des rapports plutôt normaux avec les gens du fait qu’ils ne savaient pas que j’étais juif
"Malgré cela, j’ai vécu une enfance normale tout en gardant cachés mes antécédents théologiques. J’ai eu des rapports plutôt normaux avec les gens du fait qu’ils ne savaient pas que j’étais juif. Si tu n’as pas l’intention de révéler qui tu es, tu seras cet anonyme qui vit dans cette maison particulière et qui n’entretient aucune relation avec qui que ce soit. Voilà comment ça se passe."
Garder son identité
Pourtant, Michel n'a pas la moindre intention d’abandonner la terre qui l’a vu naître. "Même si tu ne peux pas pratiquer dans cet endroit ce à quoi tu crois, c’est là que j’ai construit tout ce que je possède aujourd’hui. Je suppose que c’est bien cela qu'on appelle une maison."
"Ce dont je rêve depuis toujours, c’est vivre dans ce pays tout en gardant ma propre identité. Je suis fatigué de prétendre être celui que je ne suis pas. Je souhaite que dans ce pays puissent coexister différentes religions, différentes confessions et que soient inclus une fois de plus les juifs", conclut-il.
Les musulmans du Japon
Une présence discrète et peu connue
Le Japon est un pays où de multiples croyances se côtoient, mais où la pratique religieuse est généralement assez peu exprimée. Les Japonais sont en majorité bouddhistes et shintoïstes, certains sont chrétiens. Depuis quelques décennies, on compte aussi des Japonais musulmans.
Les musulmans au Japon forment une petite minorité discrète qui représente environ 0,5% de la population de l’archipel, selon les estimations (il n'y a pas de statistiques officielles). Alors qu'ils n’étaient que quelques centaines à l’aube des années 1950, leur nombre a augmenté avec une plus grande ouverture à l’immigration. Mais les musulmans de nationalités japonaises, eux, sont encore plus rares.
Flexibilité en entreprise
Les musulmans du Japon peuvent vivre leur foi sans trop de diffcultés. L'archipel compte une centaine de mosquées. Elles sont assez peu visibles dans le paysage et servent davantage à remplir les attentes des musulmans étrangers que des Japonais convertis. Concernant la vie en entreprise, ils sont assez libres.
"Au départ, je pensais qu’être musulman au Japon rendait la vie dure, mais avec l’expérience je me rends compte que le seul frein concerne la communication avec son entourage professionnel. Comment bien expliquer à son patron, à son supérieur, les besoins qu’entraîne cette religion? Pour les prières, par exemple, on peut la faire pendant l’heure du repas de midi ou les autres pauses de la journée", explique dans Forum Abu Hakeem Maeno, imam et responsable de l’Association des musulmans du Japon.
Méconnaissance ou méfiance
Les Japonais ne sont pas beaucoup confrontés au quotidien à la présence musulmane, qui ne suscite pas vraiment de débats dans le pays. Toutefois, lorsqu’on discute avec des Japonais, il est difficile de ne pas percevoir une crainte envers l’islam en raison des attentats islamistes dont ils ont connaissance par les médias. Pour eux, il y a une suspicion accentuée par une méconnaissance.
Les valeurs que le Japon considère traditionnellement comme bonnes sont les mêmes que celles qu'on retrouve dans l’islam
"Pour de nombreux Japonais, l’islam et les musulmans sont un terrain totalement méconnu, ou bien, à cause des médias, une religion dangereuse. J’ai l’impression que la vision est divisée entre ces deux extrêmes. Mais devenir musulman, ce n’est pas devenir étranger à la société japonaise. Au contraire, les valeurs que le Japon considère traditionnellement comme bonnes sont les mêmes que celles qu'on retrouve dans l’islam: l’importance de la famille, l’ardeur au travail", conclut Abu Hakeem Maeno.
Des catholiques dans la péninsule arabique
Principalement de travailleurs immigrés
Au Koweït, la population chrétienne compose entre 15 et 20% des 4 millions d'habitants du pays. Cette communauté peut se diviser en deux catégories. D'une part, il y a les travailleurs immigrés originaires des Philippines ou d'Inde. Ils représentent la grande majorité des chrétiens au Koweït.
D'autre part, de façon un peu plus surprenante, il y a aussi une infime partie de chrétiens koweitiens. S'il est difficile de les chiffrer avec précision, plusieurs sources estiment qu'ils seraient environ entre 200 et 400 répartis entre les différentes branches du christianisme. Pour la plupart, ils sont descendants d'immigrés chrétiens originaires de Palestine, de Turquie ou encore d'Irak. Leur famille s'est généralement installée dans cet ancien protectorat britannique bien avant l'indépendance du pays, obtenue en 1961.
"Aucune intolérance"
"Lorsque je m'entretiens avec des Koweitiens ou des non-Koweitiens d'ailleurs, je ne ressens aucune intolérance. Au contraire. Généralement, quand mes interlocuteurs savent que je suis un Koweitien chrétien, ils me respectent davantage. Même si au départ, c'est toujours un peu surprenant pour eux, car nous ne sommes qu'une poignée", a témoigné Nader Barakat Salman au micro de Forum.
Généralement, quand mes interlocuteurs savent que je suis un Koweitien chrétien, ils me respectent davantage
Cette communauté ultra-minoritaire peut pratiquer librement sa foi. La constitution du Koweït garantit la liberté de croyance et la liberté de culte. À condition, précise l'article 35, "qu'elles ne s'opposent pas à l'ordre public et aux bonnes mœurs", dans ce pays où l'islam est la religion d'Etat. Le prosélytisme est par exemple interdit.
Instrument de promotion internationale
Il y a des chrétiens dans tous les pays du Golfe, mais ce sont généralement des travailleurs immigrés. Avec Bahreïn, le Koweït est le seul pays de cette région à avoir une population locale chrétienne qui détient la citoyenneté.
Aux Émirats arabes unis, les chrétiens pratiquent aussi librement leur foi dans le respect des lois locales. Dans ce pays, la tolérance religieuse – pas simplement pour les chrétiens - est même devenue un instrument pour promouvoir le pays à l'échelle internationale. Le but est d'attirer les travailleurs étrangers, mais aussi les investisseurs et les touristes.
Il y a aussi des églises officielles - reconnues par les autorités - au Qatar et à Oman. Ce n'est pas le cas en revanche en Arabie saoudite. On observe tout de même une légère ouverture ces dernières années depuis l'ascension du prince héritier Mohamed ben Salman. Des décorations de Noël ont par exemple été aperçues dans certains magasins l'année dernière.
Le bouddhisme en Israël
Une petite communauté oeuvrant pour la paix
La religion dominante en Israël est le judaïsme, dont se réclame les trois quarts de la population, même si les niveaux de pratique sont très disparates. Il y a aussi 20% de musulmans et de petites communautés chrétiennes. Les bouddhistes, eux, seraient entre 30'000 et 40'000 à vivre dans l'Etat hébreu.
Un bouddhiste israélien très célèbre est l'historien Yuval Noah Harari, auteur de Sapiens, vendu à plusieurs millions d'exemplaires à travers le monde. Mais globalement, la communauté bouddhiste est plutôt discrète en Israël.
"Nous sommes presque invisibles"
"Nous ne sommes pas vraiment une minorité, nous sommes presque invisibles. Mais nous compensons! Nous sommes psychologues, enseignants, nous agissons dans la société. C'est pour cela que je ne me sens pas en minorité. Nous ne voulons pas être une quatrième religion", explique dans Forum Stephen Fulder, fondateur d'un village au nord d'Israël où vivent des bouddhistes.
Il continue: "Si quelqu'un me demande quelle est ma religion, je lui répondrais: "ma religion ethniquement, celle de mon ADN, c'est le judaïsme. Ma religion dans la pratique, c'est le bouddhisme."
Ma religion ethniquement, celle de mon ADN, c'est le judaïsme. Ma religion dans la pratique, c'est le bouddhisme
Stephen Fulder concilie d'autant mieux ces deux identités - juive et bouddhiste - qu'il a découvert beaucoup de concepts communs entre les deux religions. Il prend comme exemple la pratique du shabbat, l'un des fondements du judaïsme.
"Dieu a fait le monde en six jours et il s'est reposé. Le 7ème jour, vous devez vous rappeler que vous ne devez pas réparer le monde car le monde est fait, Dieu l'a terminé. C'est donc un jour de non-action, de repos, il faut cesser de courir sans arrêt pour essayer de contrôler les choses ou de les réparer. Cela est très présent dans la Bible et cela correspond également au bouddhisme."
Rapprocher Israéliens et Palestiniens
La communauté bouddhiste s'engage également dans le conflit israélo-palestinien. Prônant la non-violence, elle s'engage pour la paix en tentant de rapprocher les deux peuples. "J'ai fondé une organisation qui s'appelle 'la voie du milieu'. La voie du milieu entre les extrêmes et aussi entre les ennemis", détaille Stephen Fulder.
Nous avons amené les Juifs et les Arabes à se rencontrer. Cela est l'essence de l'enseignement de Bouddha
"Nous sommes allés de très nombreuses fois dans les territoires palestiniens où personne n'allait. Aucun Juif n'irait là-bas, en Cisjordanie. Nous avons organisé des ateliers pour la paix avec des Palestiniens. Nous avons amené les Juifs et les Arabes à se rencontrer. Cela est l'essence de l'enseignement de Bouddha dans la vie."
Outre les bouddhistes, il existe d'autres micro-minorités religieuses en Israël: les Bahaïs, une religion originaire d'Iran qui compte des lieux saints dans le pays, les Samaritains, qui vivent entre Naplouse et la banlieue de Tel-Aviv, ou encore les Circassiens, qui vivent en Galilée. Mais il s'agit là de toutes petites communautés de quelques centaines de personnes seulement.