Les forces russes ont tiré des conséquences en termes d'objectifs et de tactique militaire de leurs difficultés des premières semaines, face à un ennemi manifestement sous-estimé. Mais de nombreuses interrogations se font jour sur leur stratégie à venir.
Actuellement les militaires russes sont présents, mais pas souverains, dans une bande de 200 à 250 kilomètres à l'intérieur de l'Ukraine, depuis la mer d'Azov (sud) jusqu'à l'approche de la grande ville de Kharkiv (nord-est).
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L'armée russe avait indiqué en mars se concentrer sur les deux régions du Donbass (Donetsk et Lougansk), en proie depuis 2014 à une insurrection séparatiste prorusse. Vendredi, elle a annoncé souhaiter "établir un contrôle total sur le Donbass et le sud de l'Ukraine" pour "assurer un couloir terrestre vers la Crimée", déjà annexée par la Russie.
L'idée d'une prise de la capitale abandonnée
Mais jusqu'où peut-elle aller? "Plus les forces russes pénètrent à l'intérieur du territoire ukrainien et plus elles sont vulnérables", analyse sur Twitter l'ancien colonel français Michel Goya.
Interviewé par l'AFP, Pascal Ausseur, directeur de la Fondation méditerranéenne d'études stratégiques (FMES), suggère une possible volonté des Russes de s'établir à l'est d'un axe Kherson-Dniepr-Izioum. Mais plus personne n'évoque désormais l'option de départ des Russes, qui était de prendre Kiev.
Nécessité de réduire les pertes du mois de mars
Les difficultés de l'armée russe en mars l'ont obligée à changer de tactique pour réduire ses pertes en hommes et en matériel. "Ils ont réalisé que le blitzkrieg ne marchait pas", analyse Pascal Ausseur. "Ils ont repris le schéma traditionnel soviétique du rouleau compresseur. Si on ne fait pas craquer l'adversaire, on va le broyer. Ils vont 'marioupoliser' l'opération".
C'est une allusion au tapis de bombes infligé depuis deux mois à Marioupol, cité portuaire stratégique posée sur les bords de la mer d'Azov. Seule une poignée de résistants retarde encore sa chute, jugée inéluctable.
La tactique stratégique de la terre brûlée
"L'armée russe poursuit son approche de la terre brûlée, essayant de briser la volonté de l'armée ukrainienne à travers l'usage de la force et les bombardements indiscriminés pour forcer les civils à fuir", estime Colin Clarke, directeur de recherche au Soufan Center, un centre de réflexion basé à New York.
Elle pourrait aussi tenter d'encercler son adversaire dans des points stratégiques du champ de bataille. Michel Goya évoque ainsi trois "pinces" distinctes à l'est du fleuve Dniepr, qui coupe le pays en deux.
Les Ukrainiens devraient de leur côté imposer aux Russes de multiples fronts pour, selon Colin Clarke, "étirer les lignes d'approvisionnement et de communication russes", une "stratégie efficace jusqu'à maintenant".
Quel sera le poids de l'aide militaire occidentale à Kiev?
L'aide occidentale a connu ces derniers jours une nouvelle impulsion, notamment de la part de Washington. Mais le temps est compté pour l'Ukraine. Or, les blindés de transport de troupes vont mettre "des semaines voire des mois pour parvenir aux Ukrainiens", relève Mark Cancian, conseiller sécurité au Centre des études stratégiques internationales (CSIS) à Washington.
Les pays de l'Otan commencent à fournir des lance-missiles S300 à Kiev pour ses défenses aériennes. Mais les forces ukrainiennes auront aussi besoin d'autres armes sophistiquées, notamment des obusiers Howitzer, selon des experts.
La France a aussi annoncé livrer des missiles antichars Milan et des canons Caesar. Des militaires ukrainiens seront formés en France à leur maniement à partir de samedi.
"Ce qu'il leur faut, c'est de la défense anti-aérienne de zone, des S300, des (systèmes de missiles sol-air) Patriot", affirme Pascal Ausseur. Avec, là aussi, des délais à prévoir. "Il faut trouver les S300, les apporter sur place, les déplacer régulièrement" pour éviter que l'ennemi ne les détruise.
A terme, l'Ukraine aura besoin d'un "dôme d'acier" pour maîtriser son ciel. "Il faut un bouclier qui rende l'équation moins favorable aux Russes", ajoute l'ancien amiral de la marine française, qui relève que les frappes russes peuvent, en l'état, se poursuivre des années.
Un conflit condamné à durer longtemps
De fait, plus personne ne parle d'un conflit court. "Le scénario qui se profile c'est du bombardement à haute dose pendant plusieurs semaines, peut-être plusieurs mois", craint Pascal Ausseur.
"Ca va durer des mois, peut-être même des années. La Russie n'a pour l'instant atteint aucun de ses objectifs. Et on ne comprend pas très bien comment elle va les atteindre", explique l'expert militaire russe Alexandre Khramtchikhine.
"Même si le Donbass est physiquement 'libéré', il est évident que la guerre ne s'arrêtera pas là", ajoute-t-il. "La Russie n'aura pas de problème pour annexer et contrôler les régions de Donetsk et de Lougansk. Le problème sera de détruire définitivement les forces armées ukrainiennes".
afp/oang