Vladimir Fédorovski: "Choisir de rejeter la Russie a mené le monde dans l'impasse"

Après sa défaite dans la région de Kiev, l'armée russe a désormais réorienté son effort sur la région du Donbass, où elle progresse lentement face à la résistance toujours acharnée de l'armée ukrainienne. Et depuis quelques jours, le conflit semble s'étendre au-delà des frontières. De mystérieuses explosions ont touché des infrastructure en Russie, tandis qu'en Moldavie, la région sécessionniste pro-russe de Transnistrie a connu plusieurs incidents.

>> Le point de situation jeudi :

De plus en plus désinhibés dans leur soutien à l'Ukraine, les Occidentaux affichent clairement depuis cette semaine leur souhait de voir Moscou mordre la poussière. Jeudi, le président américain Joe Biden a estimé que les Etats-Unis ne pouvaient pas "rester à l'écart" du conflit en Ukraine, en demandant au Congrès d'autoriser la livraison d'armes à Kiev, pour 33 milliards de dollars. Washington appelle désormais ouvertement à une défaite militaire "définitive" de la Russie.

Mauvais choix après la Guerre froide

"Il s'agit d'un moment très dangereux de l'histoire de l'humanité, actuellement, le dérapage vers la guerre mondiale est tout à fait possible", s'alarme Vladimir Fédorovski jeudi soir dans le 19h30. Acteur majeur des réformes économiques et sociales menées en URSS par Mikhaïl Gorbatchev entre 1985 et 1991 (Perestroïka), l'ancien diplomate soviétique, dont le père est Ukrainien, vient de publier le livre "Poutine, l'Ukraine, les faces cachées".

"À la fin de la Guerre froide, après la chute du Mur de Berlin, il y avait deux solutions. La première était d'accepter la Russie dans l'Occident. De grands Américains que j'ai connus, comme le secrétaire d'Etat James Baker, ou le président français Mitterrand, voulaient ça", dit-il. "Mais dans la réalité, les Etats-Unis ont choisi depuis longtemps une autre voie", poursuit-il. Celle d'humilier la Russie. "Pour être franc, je pense que c'est une voie vers l'impasse."

Certes, admet-il, l'adhésion à l'Otan semble avoir préservé la Pologne ou les Pays baltes de l'impérialisme russe. "Mais si on avait associé la Russie, autrefois, on aurait peut-être même plus besoin de l'Otan aujourd'hui. On aurait pu garantir la sécurité et l'indépendance de ces pays", poursuit Vladimir Fédorovski, qui rappelle qu'il a été lui-même "un des artisans de l'indépendance des Pays baltes sous Gorbatchev".

Sortir du conflit par la diplomatie

Enfin, interrogé sur l'impact des sanctions infligées à la Russie et sur un potentiel soulèvement populaire menant à un changement de régime, l'ancien diplomate craint que l'impact ne se fasse davantage ressentir à l'extérieur des frontières russes. "J'ai toujours été sceptique vis-à-vis des sanctions, pour la simple raison que, sous Boris Eltsine, les Russes ont déjà vécu dix fois moins bien. Ils vont perdre beaucoup de pouvoir d'achat, mais pour l'instant ils sont plutôt derrière Poutine, à 80%, même si ça peut changer."

En revanche, hors de la Russie, "il y aura des répercussions absolument gigantesques", estime-t-il. "Je prédis la crise en Allemagne, la famine en Afrique..." D'où un impératif, pour Vladimir Fédorovski, une vision héritée de la fin de la Guerre froide: "Il faut sortir de la crise par la négociation!"

>> Voir également la seconde partie de l'interview du diplomate :

Propos recueillis par Philippe Revaz/jop