Il fallait 4,3 milliards de dollars pour aider les millions de Yéménites qui souffrent de la faim. L'ONU n'a récolté qu'un tiers de cette somme, en mars dernier. Au Yémen, la guerre dure depuis plus de 7 ans, un conflit peu médiatisé qui a déjà fait 380'000 morts. La majorité des victimes ne sont pas mortes lors des combats mais des conséquences indirectes de la guerre, comme le manque d’eau potable, la faim et les maladies.
"Je suis allé à Sanaa et à Aden. Il n'y a pas d'électricité. Il n'y a pas d'eau. Les déchets sont partout. Il y a quelques hôpitaux qui fonctionnent mais ils n'ont plus d'essence pour faire marcher les salles d'opération ou l'air conditionné", raconte Manuel Bessler, chef du Corps suisse d'aide humanitaire, rattaché au DFAE, et invité de l'émission Géopolitis. "Les besoins humanitaires sont gigantesques. Septante pour cent de la population du Yémen est dans le besoin. Cela représente plus de 24 millions de personnes qui ont besoin d'aide humanitaire chaque jour pour survivre."
Sept ans de guerre
Le Programme alimentaire mondial fournit de l'aide à des millions de personnes au Yémen. Mais les besoins augmentent. Et les fonds nécessaires pour les couvrir aussi. La guerre en Ukraine et la hausse du prix du blé qui en découle ont aussi un impact direct sur le pays. Le Yémen importe 90% de ses besoins en alimentation. Un tiers des importations de blé du pays provient de Russie et d’Ukraine. "Des millions de Yéménites ont déjà vu leurs rations alimentaires coupées en raison d'un manque de financement", soulignait en mars le président de la Confédération, Ignazio Cassis, lors de la Conférence des donateurs, coorganisée par la Suisse.
Le Yémen, pays le plus pauvre de la péninsule arabique, est en guerre depuis 2014. Cette année-là, un mouvement de rébellion basé au nord du pays, les Houthis, lance une offensive vers le sud et s'empare de la capitale, Sanaa. Le gouvernement reconnu par la communauté internationale se réfugie au sud du pays. Les forces affiliées aux deux camps se battent depuis plus de 7 ans, mais d'autres acteurs ont aussi gagné en influence, comme les séparatistes du Conseil de transition du Sud, qui contrôlent la capitale provisoire, Aden, ou la branche locale d'Al-Qaïda.
>>> CARTE DES FORCES EN PRÉSENCE AU YÉMEN :
Le jeu des puissances régionales
Mais ce conflit national se double d'un conflit régional. Les Houthis, issus de la minorité chiite du pays, sont soutenus par l’Iran. Alors que de l'autre côté, les forces pro-gouvernementales sont épaulées principalement par l’Arabie saoudite, majoritairement sunnite et grande rivale de l’Iran dans la région, ainsi que par les Emirats arabes unis. Ces deux pays sont entrés en guerre en 2015, au sein d'une coalition de pays arabes à majorité sunnite, pour freiner l'avancée des Houthis dans le pays.
"C'est une guerre par procuration. Il y a des puissances derrière qui ont leurs intérêts", explique Manuel Bessler. Mais ces intérêts évoluent, selon lui: "Les Saoudiens sont vraiment les voisins du Yémen. Ils ont intérêt à ce que la situation se calme. Et ils ont réalisé que cette guerre n'est pas gagnable, en tout cas pas rapidement." Pour Manuel Bessler, cela pousse l'Arabie saoudite à chercher une solution au conflit. D'autant plus que le territoire du royaume est régulièrement visé par des frappes de drones ou de missiles revendiquées par la rébellion Houthis, comme sur le site pétrolier de Jeddah, en mars dernier.
C'est une guerre par procuration. Il y a des puissances derrière qui ont leurs intérêts.
Le royaume et son allié émirati ont d'ailleurs promu et soutenu la création d'un nouvel exécutif composé de huit membres, qui doit permettre d'unifier les différents mouvements opposés à la rébellion Houthie. Un nouvel exécutif qui aura la difficile tâche de tenter de trouver une issue à ce conflit, comme s'y est engagé son président, Rashad al-Alimi, début avril: "Le Conseil présidentiel promet à notre peuple yéménite d'œuvrer pour mettre fin à la guerre et établir un processus de paix complet et urgent."
Première étape dans une possible résolution du conflit, les belligérants ont déjà accepté d’observer, début avril, une trêve nationale de deux mois, négociée par l’ONU, à l’occasion du Ramadan. C'est une première depuis 6 ans. Mais cette trêve reste fragile et les deux camps s’accusent mutuellement de la violer.
Elsa Anghinolfi