Maurine Mercier: "En Ukraine, les gens s'investissent de mille et une manières pour leur pays"
Après presque trois mois de guerre, la population ukrainienne est à bout. "Mais les Ukrainiens représentent une multitude (…), il y a des manières très individuelles de vivre la guerre", précise d'emblée Maurine Mercier.
De manière globale, les gens sont fatigués, "forcément", dit-elle. "Il y a quelque chose d'usant, d'épuisant, il y a des sirènes qui retentissent (…) Les gens dorment difficilement." Et tous sont concernés par la guerre aujourd'hui: "Tous ont des membres de leur famille qui ont dû quitter [leur domicile]. Ces dernières semaines, dans le sud-est, je m'apercevais que n'importe quel jeune avait des frères au combat, parfois tués, des membres de leur famille tués. Donc la guerre a rattrapé à peu près tout le monde."
Les gens s'investissent, mais de mille et une manières, pour leur pays.
Malgré tout, la journaliste les a aussi vus déterminés et confiants. "Je pense qu'au début de la guerre, ils étaient sûrs que la Russie n'allait faire qu'une bouchée de l'Ukraine. Mais ils se sont rendu compte que leur armée était bien plus puissante que tout ce qu'ils avaient imaginé. Ils se sont rendu compte que la guerre dans le Donbass, qui dure depuis 2014, avait permis de constituer une véritable armée."
Et si tout le monde n'a pas pris les armes en Ukraine, il y a différentes manières de faire la guerre, relève l'envoyée spéciale de la RTS. "On voit des hommes, très angoissés, qui ont entre 18 et 61 ans, qui n'ont qu'une envie: c'est de ne jamais, jamais, porter d'arme (…) Les gens s'investissent, oui, mais de mille et une manières, pour leur pays, pour la paix."
Les jeunes ne sont pas forcément à même de pouvoir endurer la guerre.
Beaucoup de jeunes, tout de même, prennent les armes. Mais cela pose aussi question, souligne Maurine Mercier. "Il y a parmi eux beaucoup de profils de jeunes qui étaient sans avenir et qui tout à coup se trouvent une fonction et intègrent la défense territoriale. On en voit plein avec des kalachnikov dans les mains. Cela va poser question dans les mois à venir, dans l'après-guerre."
Que feront-ils?, s'interroge-t-elle. "Ce sont des jeunes qui ne sont pas forcément à même de pouvoir endurer la guerre."
Volodymyr Zelensky est un acteur qui reste malgré tout un acteur.
Le président Volodymyr Zelensky, très médiatique, est omniprésent depuis l'invasion russe. Mais tous ses concitoyens ou concitoyennes ne voient pas forcément cela d'un bon œil. "Les gens disent qu'il fait le boulot. Dès le début [de la guerre], ils ont dit: 'il n'a pas quitté, il n'est pas lâche'. Tout le monde est à peu près d'accord là-dessus", raconte la reporter.
"Mais ils estiment que c'est un acteur qui reste malgré tout un acteur. Donc, il a parfois des problèmes de crédibilité. Quand je leur posais la question, les Ukrainiens me disaient: 'Est-ce qu'on peut croire un acteur?' Il y a beaucoup d'exagération de sa part, disent-ils (…) Beaucoup d'Ukrainiens se sentent irrités parce qu'on est dans un monde où le storytelling l'emporte, dans un monde où on a besoin de spectacle constamment (…) Je crois qu'ils aimeraient moins de communication, plus de faits."
Les prorusses sont persuadés que Vladimir Poutine est venu les sauver.
Et la propagande du Kremlin est entendue aussi en Ukraine. "J'ai rencontré plusieurs prorusses qui vous diront que vous êtes mal informé", souligne Maurine Mercier. "Mais quand on les questionne sur les sources d'information, ils nous citent YouTube, Facebook, très, très souvent."
"Ces gens-là sont absolument persuadés, parce que c'est la propagande qui place les choses ainsi, que les russophones (...) sont en danger et que Vladimir Poutine est venu les sauver", poursuit-elle.
L'envoyée spéciale de la RTS n'est pas très optimiste non plus pour la suite. "On l'oublie, mais la guerre dure depuis huit ans en fait", rappelle-t-elle. "Ce que je vois, c'est que les Ukrainiens sont déterminés, que le pouvoir russe aussi et qu'il y a un afflux d'armes sur ce pays. Le sentiment que j'ai c'est que, quand les armes arrivent, la guerre se poursuit."
Citant son expérience sur d'autres terrains de guerre, en Libye notamment, Maurine Mercier souligne que lorsque des membres d'une famille ont été touchés, il y a un besoin de vengeance, de justice. "Donc, la guerre forcément se prolonge, parce qu'il y a cette mécanique infernale qui s'installe. Je suis assez inquiète pour le pays et la région."
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Propos recueillis par Blandine Levite/oang