Régis Genté et Stéphane Siohan: "A son élection, Zelensky était une page blanche politique"
Elu en 2019 à la tête d’une Ukraine en guerre dans le Donbass, Volodymyr Zelensky était alors avant tout connu par les clichés qui circulaient à son sujet: Coluche ukrainien, comédien, héros de série à l’humour peu subtil, populiste sans doute incapable de présider le destin de son pays. D'où la surprise et la stupeur des chancelleries internationales, incrédules devant son ascension fulgurante.
Elu sur le programme pour faire la paix, il est devenu par la suite le président de guerre que l'on connaît aujourd'hui, gagnant déjà la bataille de la communication face aux codes archaïques de son adversaire Vladimir Poutine.
Ce sont ces aspects-là que Régis Genté et Stéphane Siohan, tous deux journalistes indépendants spécialistes de l’ex-URSS et du monde soviétique, respectivement correspondants pour la RTS en Géorgie et en Ukraine, abordent dans "Volodymyr Zelensky. Dans la tête d’un héros", la biographie du président ukrainien qui paraît ce jeudi.
Plusieurs rencontres
Mais derrière cette image bien maîtrisée, il y a un parcours plus sinueux, des zones d’ombres et un caméléon politique que Stéphane Siohan et Régis Genté connaissent depuis longtemps. Tous deux ont eu l'occasion de rencontrer Volodymyr Zelensky à plusieurs reprises, notamment lors de sa campagne électorale. "On avait été frappés à l'époque par le décalage entre l’ambition politique de cet homme et le degré zéro de culture politique qu’il avait à ce moment-là. Comme le disait un de ses conseillers, il était une page blanche en politique", se rappelle Stéphane Siohan, interrogé vendredi dans La Matinale.
Après avoir fait vivre sur le terrain la guerre dès ses premières heures, les deux journalistes n’ont donc pas hésité avant se lancer dans l'écriture de la biographie du chef d'Etat avec la promesse de lever le voile sur le mystère qui entoure cet homme omniprésent, à la communication si brillante, qui a émergé comme le héros d’une démocratie qui refuse l’invasion russe.
"A travers Zelensky, il s’agissait avant tout de raconter ce qu’est l’Ukraine, car il y a une urgence de compréhension. A savoir que ce n’est pas la première guerre en Ukraine, dont la Russie a déjà envahi une partie dès 2014. On sentait que dans le débat en Occident et en Europe il fallait mieux raconter l’Ukraine et la personnalité de Zelensky", explique Régis Genté.
Un véritable caméléon
Il faut dire qu'au moment de son élection, Volodymyr Zelensky inquiétait nombre de diplomates étrangers inquiets pour l'avenir de l'Ukraine déjà en guerre. "Et lui va se sentir très humilié", poursuit Régis Genté. "Mais il va beaucoup travailler, c’est un énorme travailleur. Il va faire en sorte de maîtriser de mieux en mieux ses dossiers. Et il va mettre sur pied une sorte de vision de l’Ukraine."
Selon les deux journalistes, sa force est d’être "un véritable caméléon" qui se colore des aspirations de ses concitoyens. "Au lieu de proposer des idées et un projet, c’est un excellent sociologue du quotidien comme le sont beaucoup d’humoristes", analyse Stéphane Siohan. Avant d'ajouter: "Et il a un don pour capter l’humeur et les aspirations de son peuple, dont il va faire son projet politique."
>> Le suivi de la situation en Ukraine : Volodymyr Zelensky parle "d'un enfer" pour décrire la situation dans le Donbass
Propos recueillis par Frédéric Mamaïs
Adaptation web: Fabien Grenon
Sa première vidéo publiée sur les réseaux sociaux: "Un point de bascule"
Le 24 février, au moment où la Russie a commencé à envahir l'Ukraine, Volodymyr Zelensky se retranche dans le bâtiment présidentiel de Kiev avec ses principaux conseillers, sa femme et ses deux enfants. Il ne fuit pas malgré les menaces de mort qui planent sur lui, alors que les services britanniques et américains proposent de l'exfiltrer.
C'est alors qu'il va directement s'adresser, via une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, au peuple ukrainien. Pour Régis Genté et Stéphane Siohan, il s'agit d'un véritable "point de bascule", "une rupture historique".
"La propagande russe dépeint un homme qui est sur le point de fuir son pays, un moyen de casser la résistance ukrainienne. Mais en faisant cette vidéo, Volodymyr Zelensky appelle à la résistance. Il prend une responsabilité pour lui-même à la tête de son pays. C’est un signal très fort envoyé à sa population. En quelques heures, sa popularité va grimper jusqu’à 90% et beaucoup d’Ukrainiens vont se lancer dans la résistance armée et la défense territoriale."