Patrick Chauvel était en Irlande du Nord en 1972, au Mozambique en 1973, en Erythrée en 1975, en Iran de 1979, au Salvador en 1980, en Tchétchénie en 1995, en Syrie en 2019 ou encore en Afghanistan en 2021.
Il totalise 34 théâtres d'opérations guerrières, 380'000 photos, sept blessures graves, tant par les balles en plastique britanniques que par celles des M16 américains, sans compter les éclats d'obus de tous calibres. Et il sʹapprête aujourd'hui à retourner en Ukraine, où il sʹest déjà rendu pour Paris Match depuis le 24 février dernier.
J'aime beaucoup raconter l'histoire des gens qui souffrent.
Invité vendredi de l'émission Médialogues de la RTS, il se dit "rapporteur de guerre" plutôt que "reporter de guerre". C'est "parce que j'aime beaucoup raconter l'histoire des gens qui souffrent", explique-t-il. "Notre métier est de rapporter les événements qu'on a vus, pas seulement en photo."
Et ce terme de "reporter de guerre" un peu trop utilisé par certains journalistes, précise-t-il, "je m'en détache parce que, sur le terrain, il y a des journalistes qui couvrent les conflits depuis très longtemps et il y a les gens qui vont sur les conflits une fois et qui rentrent en disant 'je suis reporter de guerre', et on leur laisse ce titre".
"Nous", poursuit Patrick Chauvel, "on fait un travail de longue haleine, on reste longtemps dans les pays, on parle à la population, on essaie de comprendre ce qui se passe et on rapporte ce qu'on a vu en photos ou en texte, en radio, en télévision, pour les gens qui sont dans le monde de la paix".
En un demi-siècle, le travail sur le terrain des conflits n'a guère changé, mais tout de même. "La différence est que les Ukrainiens ne vous donnent pas de flingue, pas d'uniforme, et c'est même difficile d'aller avec l'armée ukrainienne, ils sont très paranoïaques, ils se méfient de la presse internationale", souligne le Français.
Le journalisme est l'art de l'effacement, on n'a pas à se mettre en avant.
Et parmi les nombreux journalistes présents aujourd'hui en Ukraine, tous n'ont pas les bons réflexes, souligne-t-il. "Un des problèmes, aujourd'hui, c'est que beaucoup de jeunes journalistes tweetent tout le temps, ils se racontent à leurs amis."
Et Patrick Chauvel n'en voit pas l'intérêt: "Pour moi, le journalisme est l'art de l'effacement, on n'a pas à se mettre en avant. Et il y a une espèce de vague, en ce moment, de gens qui se montrent pour avoir des commentaires" sur les réseaux. "Tout ça est ridicule et ça met en danger les soldats ukrainiens", se lamente-t-il. "
"Quand vous faites un selfie sur une position ukrainienne et que vous l'envoyez à vos amis, ça montre la position et les Russes vont la bombarder. C'est ça le résultat du non-professionnalisme de certains journalistes: on se retrouve tout seul à essayer de trouver des images alors que, s'il n'y avait pas cette méfiance, on serait avec l'armée ukrainienne."
J'ai été très emmerdé d'être blessé, parce que j'ai raté la fin de l'histoire.
Le photoreporter figurait en 1974 sur la couverture du tout premier numéro de la revue de Reporters sans frontières (lire encadré). Après avoir été blessé par un obus de mortier au Cambodge, le jeune homme est inconscient et doit être porté par des secouristes.
Pourquoi n'a-t-il pas arrêté ce travail à ce moment-là? "On n'arrête pas à une première blessure, à moins d'être handicapé", réagit-il. "J'ai été très emmerdé d'être blessé, parce que j'ai raté la fin de l'histoire que j'avais suivie depuis un long moment au Vietnam et au Cambodge. Donc, quand je me suis réveillé après cette blessure à l'hôpital, j'étais fou de rage. Mais je ne pouvais plus bosser."
Propos recueillis par Antoine Droux/oang
Un numéro de la revue de RSF entièrement dédié à Patrick Chauvel
Le dernier numéro en date de la revue de Reporters Sans Frontières est intitulé "100 photos pour la liberté de la presse". Il est entièrement consacré au travail de Patrick Chauvel. Cet album saisissant emmène le lecteur du Vietnam de 1968 à lʹAfghanistan de 2021.
C'est le tout premier ouvrage photographique du Français en tant que tel. "D'abord c'est beaucoup de travail et je n'ai pas trop le temps entre deux reportages", explique-t-il. "Et surtout, je ne voyais pas l'intérêt de faire un résumé de mes images avant d'arriver à un certain niveau de carrière, un peu vers la fin et de jeter un regard en arrière. Pour moi, un livre photo, c'est un résumé de ce qu'on a fait et de ce qui s'est passé."
Patrick Chauvel ne cache pas également une certaine gêne, "parce qu'il y a beaucoup de gens qui souffrent sur ces photos". Et, dit-il, "je préfère aller à la rencontre des gens qui souffrent ou des combattants qui se battent pour une idée, que de me consacrer à mon travail".