La Haute-Commissaire doit se rendre notamment à Urumqi, la capitale du Xinjiang, ainsi qu'à Kashgar, ville du sud de la région où la population ouïghoure est particulièrement importante. Elle a parlé lundi en visioconférence avec les chefs de délégation d'environ 70 ambassades étrangères en Chine, ont indiqué à l'AFP des sources diplomatiques.
Selon ces sources, Michelle Bachelet a assuré aux diplomates qu'elle avait négocié l'accès à des centres de détention et pourrait s'entretenir avec des militants locaux des droits de l'Homme. Après plusieurs années d'âpres négociations avec les autorités chinoises, Michelle Bachelet devrait rester dans le pays jusqu'à samedi. Des responsables de l'ONU ferraillaient depuis 2018 avec Pékin afin d'obtenir un "accès libre et significatif" au Xinjiang.
Cette région du nord-ouest de la Chine, longtemps frappée par des attentats sanglants pour lesquels les autorités accusent des séparatistes et des islamistes ouïghours, fait l'objet depuis le milieu des années 2010 d'une surveillance drastique.
Accusations de génocide
Les Etats-Unis, qui accusent la Chine de perpétrer un "génocide" et critiquent Michelle Bachelet pour son "silence persistant" face aux "atrocités" commises par Pékin, se sont dits la semaine dernière "préoccupés" par cette visite.
>> Lire aussi : La Chine violerait toutes les dispositions de la Convention sur le génocide au Xinjiang
"Nous ne nous attendons pas à ce que la République populaire de Chine garantisse l'accès nécessaire pour mener une évaluation complète et sincère de la situation des droits humains au Xinjiang", a déclaré le porte-parole de la diplomatie américaine Ned Price.
"Travail forcé"
Pour la plupart musulmans sunnites, les Ouïghours constituent le principal groupe ethnique du Xinjiang, peuplé de 26 millions d'habitants.
Des études occidentales, fondées sur des interprétations de documents officiels, des témoignages de victimes présumées et des extrapolations statistiques, accusent Pékin d'avoir interné dans des "camps" au moins un million de personnes, d'effectuer des stérilisations "forcées" ou encore d'imposer du "travail forcé".
>> Voir à ce propos : Reportage au Xinjiang, entre harmonie de façade et omerta d’Etat
La Chine présente les camps comme des "centres de formation professionnelle" destinés à lutter contre l'extrémisme religieux et à former les habitants à un métier afin de développer l'emploi et la stabilité sociale.
Pékin dit par ailleurs n'imposer aucune stérilisation, mais uniquement appliquer la politique de limitation des naissances à l'oeuvre dans l'ensemble du pays, et qui était peu mise en pratique auparavant dans la région.
>> Lire aussi : La Chine réprime violemment ses minorités musulmanes, au grand dam de la communauté internationale
ats/cal
Nombreuses condamnations sans effet
Depuis 2019, plusieurs appels ont été lancés pour ouvrir une enquête internationale, afin de traduire en justice les responsables d'éventuelles violations des droits de l'Homme au Xinjiang. Or de nombreux obstacles compromettent une telle perspective.
Premièrement, une procédure ne peut être engagée contre les dirigeants d'un Etat souverain sans son accord préalable. La Chine, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, dispose par ailleurs d'un droit de veto.
Face à cet écueil, l'Assemblée générale de l'ONU peut créer un mécanisme d'enquête, comme elle l'a fait en 2016 pour contourner le veto russe et enquêter sur les crimes commis en Syrie. Cette solution implique toutefois que la majorité des Etats membres s'y déclarent favorables.
Or la Chine, en tant que deuxième puissance économique mondiale, étend depuis plusieurs années sa sphère d'influence dans l'arène de la diplomatie mondiale, à coups d'investissements massifs aux quatre coins du globe. En conséquence, "beaucoup de pays sont devenus réticents à prendre des sanctions contre un pays dont ils sont devenus très dépendants", remarque Jean-Pierre Cabestan.
Ces pays sont au contraire nombreux à faire désormais bloc derrière Pékin. Au Conseil des droits de l'Homme de l'ONU, le 1er juillet 2019, 46 Etats ont ainsi appuyé l'action de la Chine au Xinjiang. Un véritable pied de nez au Royaume-Uni et aux 27 autres pays (dont la France, l'Allemagne et le Japon), qui interpellaient deux jours plus tôt la haute-commissaire aux droits de l’Homme Michelle Bachelet sur la situation des Ouïghours.
La Suisse n'a pas signé la déclaration commune à l'ONU pour protéger les Ouïghours du Xinjiang
Quarante-trois pays ont réclamé le 22 octobre 2021 à la Chine, dans une déclaration commune lue par la France, de "garantir le plein respect de l'Etat de droit" à l'égard des Ouïghours au Xinjiang. Ils se sont attiré les critiques de Pékin, qui dénonce "un bilan terrible en droits humains" de Washington, Londres et Paris. Berne, de son côté, n'a pas signé cette déclaration.
Bien qu'ayant pris part à cette initiative diplomatique en 2019 et en 2020, la Suisse a donc finalement refusé de parapher la déclaration. Le texte évoque ouvertement les accusations de torture, de stérilisation, d'internement systématique et de travail forcé auquel sont soumis les populations autochtones du Xinjiang, Ouïghours en tête.
Les signataires exigent un accès sans restriction à cette région via le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'Homme. Pékin rejette de son côté ces critiques et évoque un complot international visant à lui nuire.
En 2019, les autorités chinoises avaient reproché à Berne son implication dans cette démarche et avait décidé, hasard ou non, de suspendre dans la foulée le dialogue Suisse-Chine sur les droits humains.