"L'Otan est plus forte que jamais." Ce sont les mots de Jens Stoltenberg, secrétaire général de l'Alliance, lors de la dernière rencontre des ministres des Affaires étrangères des pays membres, en mai. L'offensive russe en Ukraine a donné un nouveau souffle à une alliance vieille de plus de 70 ans, héritée des tensions de la Guerre froide.
Donald Trump l'avait qualifiée d'"obsolète" en 2017 et avait critiqué le manque d'investissement des pays européens dans leur défense. Emmanuel Macron dénonçait sa "mort cérébrale" en 2019. L'Alliance semblait s'affaiblir encore en septembre dernier, lorsque les Etats-Unis ont rendu publique leur nouvelle alliance militaire avec le Royaume-Uni et l'Australie, baptisée Aukus, et centrée sur la région indo-pacifique.
L'Alliance se réarme
"On pensait que l'Otan était redondante. L'agression russe contre l'Ukraine l'a ravivée", souligne Matthias Schulz, professeur d'histoire des relations internationales et d'histoire transnationale à l'Université de Genève, invité de Géopolitis. "La défense des Etats membres apparaît à nouveau comme un objectif très important. Mais l'Alliance doit se réorganiser. Elle s'est désarmée très fortement suite à la fin de la Guerre froide, puis également suite à la crise financière."
Depuis le début de la guerre entre la Russie et l'Ukraine, plusieurs pays membres de l'Otan ont annoncé des augmentations de leurs budgets militaires à plus ou moins long terme, comme la Pologne, le Danemark, la Norvège ou encore l'Italie. L'Allemagne va massivement investir pour se rééquiper et moderniser son armée. Le dépenses de défense du pays devraient ainsi atteindre l'équivalent de 2% de son PIB. C'est un objectif que les membres de l'Alliance se sont posé en 2014. En 2021, seuls 8 des 30 pays membres atteignaient ce seuil.
L'Otan n'est a priori pas une menace pour la Russie en ce moment. En revanche, la Russie représente une menace réelle pour tous ses voisins et pour l'Europe entière.
"En Allemagne ou même en France, on considère que l'état de l'armée est insuffisant pour faire face à une véritable agression", explique Matthias Schulz, "d'autant plus qu'on considère que la Russie a modernisé de façon très radicale son armée à partir des années 2000." La Russie dispose aussi du plus important stock d'armes nucléaires au monde, avec près de 6000 ogives. La France et le Royaume-Uni, seules puissances nucléaires européennes, en possèdent moins de 300 chacune.
"Si on regarde juste l'Europe et la Russie, il y a un déséquilibre très fort sur ce plan-là. C'est pour cela qu'il y a nécessité de maintenir les Etats-Unis en Europe pour sa défense", explique l'historien. Mais selon lui, même si les forces militaires américaines sont très puissantes, elles sont aussi très éloignées de l'Europe: "Cela prendrait des mois et des mois pour les faire venir. Donc l'Otan n'est a priori pas une menace pour la Russie en ce moment. En revanche, la Russie, dont les stocks d'armes nucléaires et les forces conventionnelles sont très proches, représente une menace réelle pour tous ses voisins et pour l'Europe entière."
L'Otan s'étend
Un mois après le début de la guerre, l'Otan annonçait le déploiement de quatre nouveaux groupements tactiques, composés de forces de différents pays membres, en Bulgarie, en Roumanie, en Hongrie et en Slovaquie. Des militaires français sont déployés en Estonie et en Roumanie. Des Américains, en Pologne. L'invasion russe en Ukraine a aussi poussé la Finlande et la Suède, deux pays traditionnellement neutres, à déposer leur candidature à l'Otan, le 18 mai dernier. La Suède observait une politique de non-alignement militaire depuis 200 ans, et la Finlande depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Avec leur intégration, à laquelle la Turquie s'oppose pour le moment, les frontières terrestres entre l’Otan et la Russie, qui représentent aujourd’hui 1200 km, doubleront. Vladimir Poutine a affirmé qu'il ne considérait pas l'adhésion de la Finlande et de la Suède à l'Alliance comme une menace immédiate. Mais son ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, a annoncé que la Russie allait créer douze bases militaires dans l'ouest du pays pour répondre à l'élargissement et au renforcement de l'Otan. "Des demandes d'adhésion à l'OTAN ont été soumises par nos voisins les plus proches - la Finlande et la Suède. Les tensions continuent de croître dans la zone du district militaire occidental. Nous prenons les contre-mesures appropriées", a-t-il précisé.
Elsa Anghinolfi
L'Otan, qu'est-ce que c'est?
L'Otan, pour Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, est créée à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Le 4 avril 1949, à Washington, dix pays européens (Belgique, Danemark, France, Islande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Portugal, et Royaume-Uni) signent avec le Canada et les Etats-Unis un traité de défense collective, le Traité de l’Atlantique Nord. Avec comme pierre angulaire l’article 5, selon lequel "les parties conviennent qu'une attaque armée contre l'une ou plusieurs d'entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties". Cette article n'a été invoqué qu'une seule fois, par les Etats-Unis, en réponse aux attentats terroristes du 11 septembre 2001.
A l'origine, l'organisation a pour but de contrer l'emprise grandissante de l'Union soviétique en Europe. En 1955, l’URSS rassemble à son tour les pays du bloc de l’Est dans une alliance militaire, le Pacte de Varsovie. Après la chute de l'URSS, la RDA et 14 pays d’Europe centrale et de l’est rejoignent l’Otan. Le dernier en date est la Macédoine du Nord, en 2020. Cette avancée vers l'est de l'Otan est perçue comme une menace par la Russie.
Après la Finlande et la Suède, la Suisse?
C'est au Congrès de Vienne, en 1815, que la Suisse devient officiellement neutre. Elle ne participe depuis à aucun conflit armé. Sur cette base, la diplomatie helvétique peut offrir ses bons offices. La Suisse est notamment Etat-hôte de sommets internationaux comme celui entre Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev, en 1985, ou plus récemment entre Joe Biden et Vladimir Poutine, en 2021.
La guerre en Ukraine et ses conséquences ont relancé le débat sur la politique de neutralité de la Suisse. En février, le Conseil fédéral a décidé de reprendre les sanctions de l'Union européenne contre la Russie, alors que tout récemment, la Finlande et la Suède, deux autres pays militairement neutres, ont finalement choisi de rejoindre l'Otan.
Pour Matthias Schulz, la neutralité suisse est ancrée depuis très longtemps dans l'histoire du pays. "C'est une ligne rouge qui est encore plus forte que dans l'histoire de la Finlande et de la Suède", explique ce professeur de l'Université de Genève. Mais le contexte sécuritaire actuel pousse à s'interroger sur le rôle de la Suisse, selon lui.
"Est-ce que c'est la Suisse qui a bénéficié de l'environnement qu'a créé l'Union européenne et l'Otan ou est -ce que c'est l'Otan et l'Union européenne qui ont surtout bénéficié de la neutralité suisse?" questionne Matthias Schulz. "Je pense que la réponse est claire. La Suisse a bénéficié énormément de cet environnement sécurisé et de tous les efforts qui ont été faits pour créer une zone de paix stable en Europe. A la Suisse de voir si, à l'avenir, elle va évoluer et s’investir davantage."