Le positionnement de la population russe sur la guerre en Ukraine reste difficile à évaluer. En effet, comme le rappelle Anna Colin Lebedev, les informations et les images qui parviennent dans le pays ne sont pas les mêmes que celles auxquelles nous avons accès. "La plupart des Russes pensent que les soldats sont accueillis en libérateurs en Ukraine. Et ils voient les Ukrainiens comme une population opprimée", poursuit-elle.
La résistance russe existe toutefois bel et bien. Elle prend une forme très discrète. Il y a, par exemple, le symbole du ruban vert pour signifier une adhésion à la paix. "Il y a également la stratégie de l’évitement, qui se traduit, notamment, par un non-engagement dans l’armée." La deuxième forme de résistance est celle des élites qui essaient de temporiser pour s'en tirer à moindre coût.
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Impact des sanctions sur l'opinion publique
Les sanctions européennes pourraient-elles faire plier Vladimir Poutine? Leur impact sur l'économie russe ne fait pas de doute, répond la spécialiste. "L’économie russe va tomber dans une récession qu’elle n’a encore jamais connue, pire que celle des années 1990 lors de la chute de l'Union soviétique."
La question est désormais de savoir si cela suffira à déclencher le retournement de la population russe contre le pouvoir. Pour Anna Colin Lebedev, la réaction peut être à double tranchant. "Face à la dégradation de la situation économique, la population pourrait avoir envie de se 'solidariser' encore plus autour du pouvoir face à cet 'immense ennemi' qui les 'affame'. "Finalement, tout dépendra du succès de la Russie à imposer sa lecture de ce qui est en train de se passer".
La nécessité d'une "victoire russe"
Quant aux pertes humaines, il reste difficile de mesurer leur impact sur l’opinion publique. En effet, le ministère de la Défense n’a pas communiqué depuis le mois de mars sur les pertes humaines militaires. "Même si on voit des cercueils arriver en Russie, ces derniers reviennent dans des petites villes de province. Les enterrements s'opèrent donc de manière relativement discrète."
Malgré cette opacité, plusieurs mères de soldats russes ont témoigné ces dernières semaines dans les médias et se mobilisent sous forme d'associations. Il reste toutefois difficile pour elles d'agir dans un climat de répression et de censure.
Enfin, pour ne pas perdre l'adhésion populaire, Moscou doit présenter rapidement une victoire à sa population. La prise du Donbass pourrait être une alternative, estime Anna Colin Lebedev. Et de conclure: "Une résolution durable du conflit ne peut passer que par un changement des priorités au sein du pouvoir russe, c'est-à-dire que la conquête de l’Ukraine cesse de rester l'objectif principal."
Propos recueillis par Agathe Birden
Texte web: Hélène Krähenbühl