La Suède est dans l'imaginaire collectif un pays social-démocrate, égalitaire et policé. Elle est en revanche moins connue pour son statut de pionnière de la biologie raciale, avant même l'Allemagne nazie. La ville universitaire d'Uppsala, à quelques dizaines de kilomètres au nord de Stockholm, a en effet vu naître en 1922 l'Institut de biologie raciale Rasbiologiska institutet.
L'établissement, fondé par Herman Lundborg, tentait alors d'établir scientifiquement la supériorité de la race nordique, notamment par rapport aux autochtones samis, aussi appelés Lapons. Ces communautés ont été photographiées et mesurées, et leurs squelettes exhumés et étudiés. Installé dans l'un des immeubles les plus importants d'Uppsala, l'institut a fonctionné jusqu'en 1959. Un siècle après sa création, la Suède essaie de tourner cette page sombre de son histoire.
Des représentations racistes
Les sous-sols de la bibliothèque Carolina Rediviva à l'Université d'Uppsala abritent les archives de l'institut. Le coeur de ce fonds historique est constitué par des photographies: quelque 12'000 images sont classées par catégories et critères ethnique dans plus d'une centaine d'albums. Il existe ainsi un album sur le "type suédois", sur les Wallons venus en Suède pour travailler dans la métallurgie au 17e siècle, ou encore sur les Samis, seul peuple autochtone d'Europe.
Si ce racisme était dans l'air du temps au début du 20e siècle, la Suède a été une des têtes pensantes du mouvement sur la biologie raciale. Son institut a été le premier au monde financé par un Etat, et était en contact étroit avec des biologistes allemands, qui ont mené par la suite la politique d'extermination nazie.
Les photos de Samis constituent un tiers des clichés pris par l'institut. "Herman Lundborg était obsédé par eux", explique Åsa Henningson, conservatrice de la bibliothèque. Alors que les Blancs étaient photographiés dans une posture qui met en valeur leur force et leur santé, les Samis étaient représentés comme des gens sales, mal rasés, vivant dans la pauvreté.
Restreindre l'accès aux archives
Aujourd'hui, le passé raciste de ces archives refait surface. La gestion des photos de Samis crée le débat en Suède. Des voix s'élèvent au sein des communautés autochtones pour limiter l'accès aux documents de l'université, afin de préserver la vie privée et la dignité des descendants dont les ancêtres ont été photographiés, parfois contre leur volonté.
"J'étais en train de consulter ces archives, et soudain, j'ai vu mon grand-père et ma grand-mère, je les ai reconnus. Ils semblaient contents d'être pris en photo. Quelqu'un est venu pour leur dire quoi faire, peut-être le pasteur ou un professeur", raconte Eva Forsgreen, présidente de la communauté sami d'Uppsala. "J'ai reconnu beaucoup de gens dans ces albums."
Tout comme elle, de nombreux Samis se rendent à la bibliothèque Carolina Rediviva dans l'espoir de retrouver, à travers ces photos, quelques membres d'une famille depuis longtemps disparue.
Rapatriement des ossements
Le même débat se pose pour les ossements des défunts. Avant même la création de l'Institut de biologie raciale, les biologistes suédois avaient pris l'habitude de déterrer des squelettes samis, à des fins de recherches.
Les communautés autochtones demandent régulièrement leur restitution. "Ce n'est pas normal que ces Samis finissent dans une boîte sur une étagère de l'université d'Uppsala. L'université doit être pro-active dans ce processus", estime Eva Forsgreen.
Sujet radio: Frédéric Faux
Adaptation web: Isabel Ares