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Traquer les crimes de guerre en Ukraine, aussi indispensable qu'épineux

Un premier procès pour crime de guerre contre un soldat russe s'est ouvert en Ukraine. [Keystone/AP Photo - Efrem Lukatsky]
Sans précédent, la traque aux crimes de guerre commis en Ukraine / Tout un monde / 5 min. / le 8 juin 2022
La traque aux crimes de guerre commis en Ukraine est sans précédent au niveau de la justice pénale internationale. Tant sur place que dans les pays accueillant des réfugiés, les autorités et la société civile collectent des témoignages et des preuves. Cet effort inédit ne se fait pas sans écueils.

Sur place, les preuves de crimes de guerre sont collectées par la justice et la police ukrainienne, mais aussi par la Cour pénale internationale, l'OSCE et de nombreuses ONG locales et internationales comme Amnesty et Human Rights Watch. Il y a aussi les preuves récoltées par des journalistes.

Hors d'Ukraine, certains Etats ont ouvert des enquêtes en vertu d'une compétence universelle absolue et cherchent des preuves auprès des réfugiés ukrainiens présents sur leur territoire.

Ces témoignages seront stockés dans des banques de données dans le cas où on en aurait besoin après l'ouverture d'une procédure

Stefan Blättler, procureur général de la Confédération

La Suisse collecte également des preuves, mais sans avoir ouvert d'enquêtes pour l'instant. "Nous sommes convaincus que des personnes ont vécu des situations dramatiques", expliquait le procureur général de la Confédération Stefan Blättler en avril dernier.

"Elles peuvent, si elles le veulent, nous donner des informations. Ces témoignages seront stockés dans des banques de données dans le cas où on en aurait besoin après l'ouverture d'une procédure."

Envoyer un signal

Elsa Taquet, coordinatrice pour l'Ukraine pour l'ONG Trial International, explique dans l'émission Tout un monde de la RTS que la traque de ces preuves permet d'envoyer un signal aux criminels: "Beaucoup de dynamiques se sont mises en place dès le début du conflit. Et cela joue un rôle important, car ça lance le signal fort qu'il faut poursuivre tout suite et qu'il faut ouvrir des enquêtes, alors même que les crimes sont en train d'être commis."

La juriste précise: "Ça montre que la justice internationale a un rôle à jouer comme outil de dissuasion, dans la mesure du possible, face aux auteurs qui sont encore en train de commettre des crimes en Ukraine."

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Besoin de coordination

Cette traque sans précédent aux crimes de guerre commis en Ukraine comporte aussi quelques écueils. Pour Elsa Taquet, il faut notamment faire attention à ne pas interroger plusieurs fois les mêmes victimes.

"On veut absolument éviter que différents organismes se retrouvent à aller enquêter les mêmes crimes et les mêmes cas, sans communication et coordination entre différentes juridictions, comme on a notamment pu le voir en Birmanie." L'experte explique que ces interrogatoires multiples peuvent replonger la victime dans son traumatisme.

On veut absolument éviter que différents organismes se retrouvent à aller enquêter les mêmes crimes et les mêmes cas

Elsa Taquet, coordinatrice pour l'Ukraine pour l'ONG Trial international

Il arrive également que certaines entités perdent des données ou ne veulent pas les partager dans leur totalité avec une juridiction. Afin d'éviter ces situations, l'agence européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale Eurojust a mis sur pied une équipe commune d'enquête pour le dossier ukrainien.

Matériel inexploitable

Les défis ne s'arrêtent pas à la collecte des preuves. Dans le cas ukrainien, il y aurait actuellement abondance de matériel, notamment avec toutes les vidéos disponibles sur internet. Mais selon Klaus Rackwitz, directeur de l'Académie internationale des principes de Nuremberg, ces vidéos ne constituent pas encore forcément des éléments admissibles devant un tribunal.

"Boutcha est un bon exemple. Sur les vidéos, vous voyez un cadavre, mais vous ne savez pas qui a tué cette personne. Mais surtout, vous ne savez pas qui a ordonné de l'abattre. Était-ce un soldat qui s'est rebellé, était-ce l'ordre d'un général ou de Poutine lui-même? Votre vidéo ne peut pas vous le prouver."

Retrouver les commanditaires

Les témoignages de victimes et de témoins sont ainsi indispensables pour compléter, recouper et corroborer les faits dans l'espoir d'identifier les potentiels auteurs de crimes, et les juger. Klaus Rackwitz insiste sur l'importance de retrouver la trace des commanditaires.

Nous voulons juger ceux qui portent la plus grande responsabilité. L'objectif est d'atteindre la chaîne de commandement

Klaus Rackwitz, directeur de l'Académie internationale des principes de Nuremberg

 "Nous voulons juger ceux qui portent la plus grande responsabilité, et normalement ce n'est pas le chef de troupe. L'objectif est d'atteindre la chaîne de commandement, mais ça ne va pas se faire en un jour. Vous commencez donc avec les crimes individuels."

La justice ukrainienne a déjà commencé à juger des soldats russes. L'un d'eux a été condamné récemment à la prison à perpétuité pour le meurtre d'un civil. Son avocat a fait appel contre cette décision. A ce jour, le bureau de la procureure générale d'Ukraine a enregistré plus de 16'000 cas, qu'elle estime constitutifs de crimes de guerre ou de crimes d'agression.

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Sujet radio: Marc Menichini

Adaptation web: Antoine Schaub

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