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Severodonetsk, bataille symbolique pour une ville désertée et en ruines

Des soldats ukrainiens au volant d'un véhicule blindé sur une route endommagée proche de la ville de Severodonesk, dans la région de Luhansk. [Keystone - EPA/STR]
Des soldats ukrainiens au volant d'un véhicule blindé sur une route endommagée proche de la ville de Severodonesk, dans la région de Luhansk. - [Keystone - EPA/STR]
Depuis plusieurs jours, la ville de Severodonetsk est au centre des affrontements en Ukraine. Militairement, la cité n'a pourtant pas une importance stratégique capitale; elle est avant tout un symbole. Pour Moscou, sa prise entérinerait le contrôle presque total de l'oblast de Lougansk. Côté ukrainien, un retrait, même temporaire, rendrait une hypothétique reprise de la ville par Kiev très coûteuse en vies humaines.

Les annonces se succèdent, côté russe comme côté ukrainien. Un après-midi, Kiev annonce des avancées dans la ville, le soir même, Moscou dément et évoque ses propres succès.

>> Notre suivi des événements : La guerre en Ukraine provoque toujours plus de dégâts à l'échelle mondiale, alerte l'ONU

Sur les réseaux sociaux, de multiples cartes tentent d'exposer la situation au jour le jour, sans grand succès. "Toutes les cartes qu'on voit sur Severodonetsk et de telle rue ou de tel pâté de maisons sont fabriquées. Il n'y a pas assez d'informations pour cartographier la situation dans cette ville", explique sur Twitter Nathan Ruser, chercheur et expert en cartographie pour l'Institut australien de stratégie politique (ASPI).

La situation est en effet actuellement trop mouvante pour avoir une vue claire de la bataille en cours. Serguiï Gaïdaï, gouverneur de la région de Lougansk, a toutefois indiqué mercredi que les forces ukrainiennes avaient été contraintes de se replier dans la périphérie de la ville, faisant face à un déluge de feu russe. Tout porte donc à croire que la situation n'est globalement pas à l'avantage de Kiev. Se pose alors une question qui continue à agiter les autorités ukrainiennes. Faut-il abandonner la ville ou continuer à résister?

Un choix cornélien pour les forces ukrainiennes

Pour faire entrer de nouvelles troupes dans Severodonetsk, l'Ukraine ne dispose plus que d'un point d'accès, un pont qui enjambe la rivière Donets et où les carcasses de camions et de voitures s'empilent. Les forces russes ont fait sauter les autres ponts qui auraient permis à l'Ukraine d'envoyer des renforts ou de préparer un retrait.

Des images du dernier pont pour sortir et entrer de Severodonetsk sur son flanc ouest:

En gardant ses troupes dans la ville, le commandement militaire ukrainien risque donc de voir ses soldats coincés, avec des possibilités limitées de ravitaillement si ce dernier pont venait à être détruit à son tour.

Autre problème pour les forces ukrainiennes: la topographie de la ville. Severodonestk se situe sur un terrain relativement plat. Cette réalité rend plus difficile la création de zones défensives solides. A contrario, une retraite derrière la rivière Donets permettrait aux soldats d'accéder à des zones plus élevées et donc plus faciles à protéger.

Le président ukrainien sur la ligne de front dans le Donbass. [Keystone - PRESIDENTIAL PRESS SERVICE HANDO]
Le président ukrainien sur la ligne de front dans le Donbass. [Keystone - PRESIDENTIAL PRESS SERVICE HANDO]

Lundi, lors d'une séance de questions-réponses avec les journalistes, Volodymyr Zelensky a fait ouvertement part de cette problématique. Le président ukrainien a clairement expliqué que Severodonesk, comme Lysychansk, la ville voisine de l'autre côté de la rivière Donets, étaient "des villes mortes".

Severodonetsk et Lyssytchansk sont des villes voisines, séparées par la rivière Donets. [Google Map - RTS]
Severodonetsk et Lyssytchansk sont des villes voisines, séparées par la rivière Donets. [Google Map - RTS]
Une carte partagée sur twitter par le chercheur Nathan Ruser qui montre les différences d'altitude d'un côté à l'autre de la rivière Donets. [Nathan Ruser - Twitter]
Une carte partagée sur twitter par le chercheur Nathan Ruser qui montre les différences d'altitude d'un côté à l'autre de la rivière Donets. [Nathan Ruser - Twitter]

La plupart des habitants de ces deux villes ont en effet pu être évacués et des bombardements massifs ont frappé Lysychansk et réduit Severodonestk à l'état de ruines. Sur le papier, il ne reste donc plus grand-chose à défendre ou à gagner. Mais pour le président ukrainien, la position de principe de l'Ukraine est de défendre sa souveraineté territoriale coûte que coûte. En reculant maintenant, il faudra penser plus tard à réattaquer et les pertes seront plus nombreuses, a-t-il estimé.

Les principaux manuels de guerre moderne estiment que dans la plupart des cas, les forces de l'attaquant doivent être au moins trois fois supérieures à celles du défenseur pour avoir des chances de succès. En ordonnant le repli de ses troupes, Volodymyr Zelensky risque donc de ne plus jamais être en capacité de reprendre la ville.

Pour certains, un retrait pourrait aussi être un facteur démoralisant pour les troupes ukrainiennes. La question ne semble toutefois pas tranchée. Des soldats interrogés par Le New York Times sont partagés. Certains jugent que rester et combattre permettra de continuer à infliger des pertes conséquentes aux troupes russes et à entamer leur moral, alors que d'autres jugent que se retirer vers des positions plus avantageuses serait primordial, justement pour infliger davantage de pertes.

Du côté des décideurs aussi, rien ne semble pour l'instant exclu. Si Volodymyr Zelensky s'est voulu ferme lundi, il pourrait vouloir brouiller les cartes afin d'assurer une retraite moins risquée. Quant au gouverneur régional Serguiï Gaïdaï, il a estimé mercredi qu'une "retraite vers des positions mieux fortifiées" était envisageable.

>> Revoir également le reportage du 19h30 sur l'offensive russe sur Severodonetsk :

En Ukraine, l’offensive russe s’intensifie sur la ville de Severodonetsk, dans le Donbass
En Ukraine, l’offensive russe s’intensifie sur la ville de Severodonetsk, dans le Donbass / 19h30 / 1 min. / le 20 mai 2022

Moscou à la recherche d'une nouvelle victoire symbolique

Côté russe, les questionnements sont sans doute moins nombreux et la ville de Severodonetsk semble avoir pris une importance capitale depuis que le conflit s'est recentré sur la région du Donbass.

L'intensité des tirs d'artillerie et des frappes aériennes montrent une détermination similaire à celle de la bataille de Marioupol, dans le sud du pays.

Même vidée de la majorité de ses habitants et en grande partie détruite, Severodonetsk apparaît prioritaire pour le Kremlin. Avec Lysychansk, elle représente le dernier bastion dans l'oblast de Lougansk. En remportant cette bataille, la Russie se rapprocherait grandement du premier objectif établi implicitement 3 jours avant le début de la guerre, le 21 février 2022, quand Vladimir Poutine avait annoncé lors d'une allocution télévisée la reconnaissance de l'indépendance de la république de Lougansk (et de Donetsk.)

>> Revoir le reportage du 12h45 sur l'allocution télévisée de Vladimir Poutine du 21 février 2022 :

Vladimir Poutine déclare indépendantes les républiques séparatistes de Donetsk et de Lougansk. Une offensive russe en Ukraine est redoutée
Vladimir Poutine déclare indépendantes les républiques séparatistes de Donetsk et de Lougansk. Une offensive russe en Ukraine est redoutée / 12h45 / 2 min. / le 22 février 2022

Des livraisons d'armes de plus en plus rapides

Face à la puissance de feu russe qui déferle actuellement sur Sverodonetsk, Kiev n'a cessé au cours des dernières semaines de demander des armes de plus en plus puissantes, afin de rééquilibrer les forces.

Missiles, lance-missiles, lance-roquettes multiples, blindés, artillerie, le flot d'aide n'a pas cessé et s'est même accéléré au cours des dernières semaines, avec l'arrivée de nouvelles armes en provenance des Etats-Unis, de France, de Pologne ou encore du Royaume-Uni.

Ces livraisons ont sans aucun doute grandement contribué à la résistance ukrainienne, qui se félicite ouvertement de l'efficacité de certaines armes, comme celle des canons Caesar français. Mais la Russie est de plus en plus agacée par ces livraisons. Dimanche dernier, la ville de Kiev, qui avait été épargnée depuis le mois d'avril, a ainsi à nouveau été bombardée en signe de représailles.

Et les livraisons sont désormais tellement conséquentes et rapides que de nombreux soldats ukrainiens en possession de ces armes ne sont tout simplement pas formés sur ce nouveau matériel. Ils ne sont donc pas en capacité de les utiliser correctement, certain devant s'en remettre à utiliser des traducteurs automatiques pour tenter de comprendre les modes d'emploi. Il faudra donc vraisemblablement du temps avant que ces nouvelles technologies puissent déployer pleinement leur puissance. Un temps qui est justement très précieux à Severodonetsk.

Tristan Hertig

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