Sylvian Fachard: "La destruction de monuments pendant une guerre tue l'esprit d'une ville"
Invité dans La Matinale, Sylvian Fachard a étudié la destruction de quelque 200 villes de la Grèce antique dans son ouvrage "The Destruction of Cities in the Ancient Greek World". Ce travail fait écho aux horreurs de la guerre contemporaine qui se déroulent actuellement en Ukraine.
"Ce qui change, c'est la technologie, notamment guerrière et destructrice, dont l'ampleur des destructions n'a rien à voir avec celles de l'Antiquité. A l'époque, elles se faisaient à main d'homme. Depuis l'invention des bombes, on peut pratiquement raser une ville", explique le professeur d'archéologie classique à Lausanne et directeur de l'Ecole suisse d'archéologie en Grèce.
Selon Sylvian Fachard, les destructions urbaines ont commencé parallèlement à la sédentarisation de l'homme il y a près de 4000 ans en Mésopotamie. "Les villes se sont fortifiées pour se défendre, pour défendre leur population, les ressources économiques. Cela a attiré l'attention des voisins, souvent belliqueux, et a entraîné les guerres de siège, suivies de destruction, de déplacements de population."
Eliminer les symboles
Au regard du travail de l'archéologue, une constante ressort dans ces démolitions: l'effacement de symboles. "Dans le monde grec, il y a eu des destructions, mais on n'allait pas prendre le temps de raser une ville. C'est une image qui revient dans l'histoire, mais c'est la plupart du temps une exagération. On allait simplement cibler des quartiers ou des bâtiments pour marquer les esprits, pour terroriser la population."
Cette annihilation d'emblèmes est appelée "urbicide" par les géographes et les urbanistes modernes. "C'est la sélection de monuments souvent historiques, politiques, culturels, pour tuer en quelque sorte l'esprit de la ville. En 480 avant notre ère à Athènes, on a retrouvé des coups de hache sur les statues de l'Acropole. On peut aussi penser à la destruction en 1993 du pont de Mostar lors de la guerre d'ex-Yougoslavie, ou le Temple de Baalshamin à Palmyre, détruit en 2015 par le groupe Etat islamique en Syrie", précise Sylvian Fachard.
Pour le directeur de l'Ecole suisse d'archéologie en Grèce, le bombardement du théâtre de Marioupol par les forces russes s'inscrit dans la même logique, même s'il préfère rester prudent en termes de parallélisme historique.
L'espoir d'une reconstruction
Malgré tout, les villes détruites par la guerre finissent dans la grande majorité des cas par se reconstruire, constate Sylvian Fachard: "Parmi les 200 villes grecques démolies que nous avons étudiées, entre 80 et 90% se sont relevées. Ça ne s'est pas fait tout de suite, mais en deux générations."
Dans le même cadre d'idées, des économistes s'étaient intéressés à la reprise économique des villes détruites en Europe pendant la Deuxième Guerre mondiale. Plusieurs facteurs permettent d'expliquer ces redressements, selon l'archéologue lausannois: "C'est tout d'abord l'état de l'économie avant le conflit. La destruction va marquer un coup d'arrêt, mais si la courbe est ascendante, elle reprendra de la même manière dans la phase post-destruction. Ensuite, c'est la solidité des institutions politiques, et le courage et la résilience de la population qui va se remettre au travail."
Le placement géostratégique est également déterminant. "Les destructions de villes sont très courantes, mais les abandons sont quand même rares. Le plus souvent, c'est une décision du vainqueur d'éliminer et de faire disparaître la cité. Carthage, par exemple, a été rasée par les Romains (146 av. J.-C.), mais ce sont eux qui, vingt ans plus tard, l'ont reconstruite parce qu'elle avait une position exceptionnelle en Méditerranée dans leurs réseaux économiques et portuaires", souligne encore Sylvian Fachard sur la RTS.
Propos recueillis par David Berger
Adaptation web: Jérémie Favre