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Les autorités chinoises accusées d'utiliser les technologies anti-Covid pour étouffer des mouvements sociaux

Le "passeport santé" chinois. [EPA/Keystone - Alex Plavevski]
Soupçons de manipulation du pass sanitaire pour contrôler la population en Chine / Tout un monde / 6 min. / le 17 juin 2022
En Chine, plusieurs incidents laissent à penser que les autorités utilisent les systèmes de passes sanitaires anti-Covid à des fins politiques, notamment pour étouffer des contestations sociales. Facilitées par la pandémie, ces dérives s'inscrivent dans une dynamique de longue date de la part de Pékin.

Dès les premiers mois de la pandémie, la Chine a été la première à déployer un vaste système de traçage sanitaire, outil-clé de sa stratégie "zéro-Covid". Téléchargée sur les téléphones portables, une application permet aux autorités de contrôler les déplacements de la population et le risque de propagation du virus.

Un pass sanitaire chinois photographié à Hong Kong en février 2022. [AFP - Bertha Wang]
Un pass sanitaire chinois photographié à Hong Kong en février 2022. [AFP - Bertha Wang]

Ainsi, depuis plus de deux ans, pour se rendre n'importe où, il faut sortir son téléphone portable et présenter, voire scanner son fameux code QR. Si celui-ci apparaît en vert, il atteste que la personne a subi les tests PCR nécessaires, qu'elle n'a pas été en contact avec des cas positifs où ne s’est pas déplacée dans une zone à risque. Dans le cas contraire, le code vire au rouge, synonyme pour son détenteur d'exclusion immédiate des lieux publics et de quarantaine forcée.

On pouvait craindre une dérive liée à une telle technologie: elle semble bien être survenue cette semaine. Plusieurs clients mécontents d’une banque en difficulté financière de la province rurale du Henan se sont déplacés pour exiger leur argent. Sur place, ils ont vu leur code vert changer de couleur sans raisons apparentes et se sont retrouvés piégés.

Des vidéos publiées en ligne montrent par exemple des individus médusés après avoir été conduit et retenus de force dans des hôtels de quarantaine. Ces derniers exigent en vain des explications, face à une coïncidence étonnement opportune. Comment se fait-il que leurs codes aient changé de couleur justement alors qu'ils se rendaient au siège de la banque?

Témoignages troublants

Les autorités nient avoir manipulé les codes sanitaires. Mais beaucoup d'éléments attestent du contraire. Certains clients de la banque qui vivent à l'autre bout du pays ont aussi vu changer la couleur de leur code. "Avec ma femme, on n’a pas quitté Pékin depuis des mois, on y est en ce moment. Tous nos déplacements, on les fait ensemble. Mais il se trouve que j’ai un compte dans cette banque du Henan. Et le code sur mon téléphone est rouge alors que celui de ma compagne est normal", témoigne un habitant de la capitale, à 700 kilomètres du Henan.

Un autre client témoigne directement de la manipulation des autorités. Venu de la province voisine du Hubei voisin pour réclamer son dû à la banque, il n'a rencontré aucun problème pour présenter son code QR au départ de l'aéroport de Wuhan. À son arrivée à Zhengzhou, le passe avait viré au rouge. "D’après les informations sous le code, je rentrais d’un séjour à l’étranger et je n’avais pas complété la quarantaine obligatoire. Mais c’était faux! Je vis dans le Hubei, j'y étais depuis des semaines", explique-t-il.

"Finalement, j’ai proposé par moi-même de rentrer. Ils ont tout de suite accepté en m’ont dit qu'ils pouvaient changer mon code rouge en code vert immédiatement. Une fois mon billet de retour acheté, mon code a changé, je n’ai rien eu à faire", poursuit-il.

Communication de crise à Pékin

Les récits de ce genre sont nombreux. Plusieurs avocats, militants et dissidents ont évoqué des incidents similaires ces derniers mois, au point que les médias d'Etat se sont saisi de l'histoire du Henan pour dénoncer des abus, faisant même réagir le pouvoir central. "Les codes de santé ne doivent pas servir à autre chose qu'à lutter contre la pandémie", a prévenu un officiel à Pékin.

Mais cette couverture médiatique et l’indignation officielle s'apparentent surtout à une tactique de gestion de crise face au tollé suscité par l’affaire, estime Maya Wang, chercheuse spécialisée dans la surveillance digitale pour le compte de Human Rights Watch. "Les autorités font semblant de réagir mais au final, les protestations seront contrôlées, censurées ou réprimées et mourront d’elles-mêmes", anticipe-t-elle.

Avenir sombre

La chercheuse rappelle que les efforts de contrôle social en Chine précèdent largement la pandémie: "La société est complètement privée de leviers pour faire pression. Cette absence de leviers est volontaire: c'est ainsi que le pouvoir a structuré l’environnement social." Et elle craint que ces dérives ne se multiplient avec les nouveaux outils technologiques.

"La pandémie a vraiment été un tournant dans le déploiement des outils technologiques par le gouvernement chinois. Elle a donné un coup de fouet à des technologies qui étaient déjà en train d’être mises en place. Donc même si le code sanitaire venait éventuellement à disparaître, la pratique sous-jacente consistant à collecter des données et à les gérer via des algorithmes, la surveillance digitale des lieux publics ou les contrôles des mouvements et interactions des individus, tout ça ne va pas disparaître, au contraire."

Dans une Chine où le Parti communiste de Xi Jinping cherche à cimenter son assise en tuant dans l’œuf toute forme de contestation via des outils de contrôle technologiques, "l'avenir pour les citoyens chinois est donc sombre", déplore Maya Wang.

Michael Peuker/jop

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