Vingt ans après le début de l'intervention américaine qui avait suivi les attentats du 11 septembre, les Occidentaux ont décidé de se retirer d'Afghanistan. Les derniers soldats américains ont quitté le pays le 30 août 2021 après plusieurs semaines de confusion.
Anticipant ce départ, les talibans, qui avaient été chassés du pouvoir en 2001, ont lancé une offensive en mai pour reconquérir le pays, prenant peu à peu le contrôle des grandes villes, jusqu'à atteindre la capitale Kaboul.
Mi-août, le président en exercice Ashraf Ghani a annoncé avoir quitté le pays pour éviter un "bain de sang", reconnaissant que "les talibans avaient gagné". Ceux-ci ont investi le palais présidentiel et les principales institutions du pays de manière triomphale. Les derniers Occidentaux et de nombreux réfugiés afghans ont pu quitter le pays in extremis.
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Dix mois plus tard, la situation demeure très difficile en Afghanistan, avec une grave crise économique, la menace d'une famine à grande échelle, des attentats qui n'ont jamais cessé et une oppression institutionnalisée des femmes.
On est loin des promesses d'assouplissement et d'ouverture émises par les talibans au moment de leur prise de pouvoir. Pour Jean-Pierre Perrin, journaliste et auteur de "Kaboul, l'humiliante défaite", les talibans ne gouvernent pas vraiment le pays et semblent uniquement obsédés par la question des femmes.
La préoccupation première des talibans est d'islamiser le pays autant que possible
"Ils ont essayé de remettre une administration en place, mais on a l'impression que ce n'est pas leur préoccupation première, qui est d'islamiser le pays autant que possible", estime l'écrivain, interrogé dans Tout un monde. "Ils s'en prennent radicalement aux femmes, pas encore comme ils le faisaient entre 1996 et 2001, mais on en prend le chemin."
Cet expert juge que c'est là leur principale préoccupation, avant même les questions économiques, "même s'il y a eu quelques avancées, puisque la plupart des ONG sont de retour à Kaboul, avec des marges de manoeuvre sans doute limitées".
Au niveau de l'organisation du pays, c'est un constat d'échec, estime Gilles Dorronssoro, professeur de sciences politiques à l'Université Paris I: "Le bilan est catastrophique. Le seul aspect à peu près réussi est le rétablissement d'une forme de paix civile. Pour le reste, il n'y a pas de vraie administration ni de projet économique et le pays est largement désorganisé."
Pour ce spécialiste de l'Afghanistan, "les talibans, qui avaient été assez efficaces comme mouvement insurrectionnel, se heurtent maintenant à des contraintes de gouvernement et leurs propres divisions les empêchent d'être efficaces."
Des dissensions sur la question du traitement réservé aux femmes sont notamment constatées: d'un côté, des groupes souhaitaient une forme d'ouverture, pour obtenir une aide occidentale, et d'un autre, du côté du leadership religieux, on prône une vraie fermeture et c'est ce courant qui l'a emporté.
Au niveau économique, le système bancaire ne fonctionne pas à cause des lourdes sanctions internationales. L'économie est au point mort en dehors du produit d'exportation phare, l'opium, qui remplit partiellement les caisses de l'Etat. Mais ce n'est pas un projet d'avenir, susceptible de faire baisser le chômage.
On reste dans une sorte d'attentisme qui augure assez mal d'un bon fonctionnement des institutions
Sur le plan institutionnel, les talibans n'ont également pas de projet très clair. Il n'y a pas eu la réunion d'une sorte d'assemblée constituante ou la mise en place d'élections, même manipulées. "On reste dans une sorte d'attentisme qui augure assez mal d'un bon fonctionnement des institutions", juge Gilles Dorronssoro.
La question humanitaire et le risque de famine sont aussi sources de préoccupation, car la situation reste très difficile pour une part de la population, qui manque de tout.
Au final, le chaos de la guerre a laissé la place à une situation tout aussi dramatique, avec des Afghanes et Afghans qui tentent de survivre dans un pays à l'arrêt.
Reste la question de la reconnaissance du pays et du régime des talibans sur le plan international. Mais là tout est au point mort, surtout pour des raisons qui tiennent à la politique des talibans. A l'heure actuelle, aucun soutien de la part des Occidentaux n'est possible, ni envisagé. De leur côté, la Chine et la Russie ne reconnaissent également pas le régime, mais ont gardé une représentation à Kaboul, tout comme une poignée d'autres Etats.
Certaines ambassades ont aussi été rouvertes, essentiellement pour observer la situation sur place ou aider les ONG encore présentes. L'Union européenne a de son côté rétabli une "présence minimale" à Kaboul dans un but humanitaire, tout en précisant qu'il ne s'agissait en aucun cas d'une forme de reconnaissance du régime taliban.
Le pays reste donc largement en marge de la communauté internationale, ce qui n'empêche pas l'ONU et ses partenaires de déployer leurs forces pour aider le pays en cas de gros coup dur, comme le séisme qui a fait plus de mille morts cette semaine.
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