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Berlin 1945: début d'une ère de troubles dans une ville meurtrie par la guerre

Winston Churchill, Harry Truman et Joseph Staline à Potsdam, le 23 juillet 1945. [keystone]
Un historien britannique raconte le partage de Berlin après la guerre dans un livre / Tout un monde / 8 min. / le 21 juin 2022
Dans son livre "Berlin année zéro", Giles Milton retrace les événements qui se sont déroulés à Berlin à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Invité dans l'émission Tout un monde de la RTS, l'historien britannique détaille les défis qui ont suivi le partage en quatre de la ville.

Publié ce printemps par les éditions Noir sur Blanc, le livre de Giles Milton s’appuie notamment sur les carnets et les journaux personnels des commandants des quatre secteurs de Berlin.

Tout commence à Yalta en février 1945. La guerre n’est pas encore finie, mais son issue ne fait plus de doute. Staline, Churchill et Roosevelt dessinent la carte de l’après-guerre. Le leader soviétique, chez lui en Crimée, domine la situation face à un président américain malade et très affaibli et à un Churchill fasciné par Staline.

"Le plus important à Yalta est de réussir à maintenir l'alliance entre les Soviétiques et les Occidentaux", explique Giles Milton. "Staline savait exactement ce qu'il voulait avant même de commencer à négocier. Il voulait garder tous les territoires déjà sous contrôle de l'armée russe, c'est-à-dire les Pays baltes, la Pologne, la Roumanie, la Bulgarie, etc."

Population terrorisée

La décision de diviser l’Allemagne en deux est aussi prise lors de la conférence de Yalta: l'est pour les Soviétiques et l'ouest pour les alliés occidentaux. Berlin, en pleine zone d’occupation soviétique, est partagée en quatre secteurs: américain, britannique, français et soviétique. Mais au sortir de la guerre, la ville n'est plus qu'un amas de décombres. Tout manque, et la population est terrorisée.

Giles Milton détaille: "Il faut imaginer Berlin à la fin de la guerre. C'est une ville complètement détruite. Il n'y a rien qui tient debout, il n'y a pas d'eau, il n'y a pas de gaz, il n'y a pas de gouvernement, il n'y a pas de nourriture. Pour les Berlinois, c'était une période terrifiante. Quatre ans de bombardements, et maintenant l'arrivée de l'armée rouge."

L'historien explique que la situation était notamment dramatique pour les femmes. "C'est une ville sans hommes, car à Berlin, en 45, il n'y avait que des femmes. Et presque tout de suite, les viols commencent. Au moins 100'000 femmes ont eu besoin de traitement à l'hôpital après avoir été violées. Il y a aussi beaucoup de femmes qui se sont suicidées dans les semaines qui ont suivi l'arrivée de l'armée rouge."

Ville méthodiquement pillée

Alors que la population est brutalisée, tout ce qui reste dans les ruines est pillé méthodiquement. Les Soviétiques, qui sont à Berlin depuis le 2 mai, ont préparé un comité d’accueil particulier pour leurs alliés occidentaux, qui n’arrivent qu’en juillet.

Devant le bâtiment détruit du Reichstag en 1946, deux personnes déterrent une souche d'arbre afin d'en faire un combustible. [Keystone - Photoèress-Archiv]
Devant le bâtiment détruit du Reichstag en 1946, deux personnes déterrent une souche d'arbre afin d'en faire un combustible. [Keystone - Photoèress-Archiv]

"La directive de Moscou était très clair. Les soldats soviétiques devaient prendre tout ce qu'ils trouvaient dans le secteur ouest de Berlin et détruire tout ce qui n'était pas transportable. Ils ne devaient rien laisser aux Occidentaux, pas une machine, pas un lit, pas même un pot de chambre", énumère Giles Milton.

Par la suite,  la "gestion" de Berlin devient de plus en plus tendue entre les quatre vainqueurs de la guerre. Une lutte sans merci s'installe, et les différents camps ne sont parfois pas loin d’en venir aux armes. Le discours de Winston Churchill en mars 1946 refroidit encore l’ambiance entre Soviétiques et Occidentaux.

L'historien se remémore: "Il a dit sa fameuse phrase 'De Stettin sur la Baltique à Trieste sur l’Adriatique, un rideau de fer s’est abattu sur le continent'. Il ne faut pas oublier que Winston Churchill n'était plus Premier ministre à ce moment-là. Il avait donc la liberté de dire les choses clairement et honnêtement."

"Et ce discours a choqué tout le monde, car l'Angleterre, les Etats-Unis et la France voulaient garder cette alliance avec Staline. Et d'un coup, Churchill dit qu'on ne peut plus faire confiance à Staline, que le monde est divisé en deux. Staline était furieux envers Churchill, dont il considérait le discours comme un appel à la guerre. Je pense qu'on peut dater le début de la Guerre froide à ce moment."

Blocus de Berlin

Un bombardier en approche de l'aéroport de Tempelhof à Berlin-Ouest (photo non datée de 1948). [Keystone - Photopress-Archiv]
Un bombardier en approche de l'aéroport de Tempelhof à Berlin-Ouest (photo non datée de 1948). [Keystone - Photopress-Archiv]

Le point de tension maximal est atteint en juin 1948, avec le blocus de Berlin. Le secteur occidental de Berlin est complètement coupé de tout approvisionnement extérieur. Pour y remédier, les Occidentaux mettront en place un pont aérien. Véritable tour de force logistique, il restera en place pendant près d’un an avec, au point culminant, des avions qui atterrissent toutes les 90 secondes à Berlin.

"Berlin-Ouest devient une île complètement isolée du monde. Comme en 1945, il n'y a pas de gaz, pas d'électricité, pas de nourriture, car tout ça vient des zones soviétiques. Il y a 25'000 soldat américains et britanniques qui ont besoin de provisions et il y a 2,4 millions d'habitants dans l'ouest de Berlin. Il faut donc apporter assez de nourriture pour tous ces gens", conclut Giles Milton.

Toujours en 1949, après la fin du blocus et à quelques mois d’intervalle,  la République fédérale d’Allemagne (RFA), à l’ouest, et la République démocratique allemande (RDA), à l’est, sont créées. Elles formeront une ligne de front de la Guerre froide qui ne va pas bouger jusqu'à la chute du mur de Berlin en 1989.

Sujet radio: Patrick Chaboudez

Version web: Antoine Schaub

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