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Cinq ans après #MeToo, les Etats-Unis en proie à "un profond backlash"

Les militantes pro-choix ont rivalisé d'imagination pour marquer les esprits. [Keystone - Gemunu Amarasinghe]
Révocation du droit à l'avortement aux Etats-Unis: interview d'Amandine Clavaud / Tout un monde / 8 min. / le 29 juin 2022
La révocation par la Cour suprême américaine de l'arrêt qui garantissait depuis 1973 le droit fédéral à l'avortement montre à quel point les droits des femmes sont constamment menacés de retours en arrière intempestifs, un mouvement de balancier bien connu dans l'histoire du féminisme.
Couverture du livre de la journaliste Susan Faludi sur le "backlash" ou le "retour de bâton".
Couverture du livre de la journaliste Susan Faludi sur le "backlash" ou le "retour de bâton".

La notion de "backlash" - "retour de bâton" en français - est un concept théorisé en 1991 par la journaliste américaine Susan Faludi.

Chaque avancée en matière de droits des femmes a été suivie d’une offensive réactionnaire, démontre-t-elle dans son essai "Backlash, the Undeclared War Against American Women" ("Le retour de bâton, la guerre froide contre les femmes"). Un travail de réflexion plus que jamais d'actualité aujourd'hui après la déflagration mondiale qu'a provoquée la révocation aux Etats-Unis de l'arrêt historique "Roe vs. Wade" qui garantissait le droit à l'avortement au niveau fédéral depuis près d'un demi-siècle.

"Un pas en avant, deux pas en arrière"

"Nous ne retournerons pas en arrière", "Avortements clandestins, plus jamais", "Les aiguilles, c'est fait pour tricoter, pas pour avorter", "Un pas en avant, deux pas en arrière": ce mouvement de balancier est d'ailleurs si bien identifié qu’il fait partie intégrante des slogans que l'on peut souvent entendre ou lire lors des manifestations féministes, à l'image des rassemblements du 14 juin en Suisse, où le droit à l'avortement est régulièrement remis en question par l'UDC (lire encadré ci-dessous).

Et les mouvements qui ont vu le jour aux quatre coins des Etats-Unis pour dénoncer la décision de la Cour suprême de pulvériser ce que beaucoup pensaient être un acquis ne semblent pas avoir dérogé à cette règle, remettant sur le devant de la scène de sempiternelles revendications.

Un retour de bâton après #MeToo

Invitée dans l'émission Tout un Monde de la RTS, l'experte en droits des femmes Amandine Clavaud confirme que ce qui se passe actuellement aux Etats-Unis est un véritable retour de bâton après de nombreuses avancées observées ces dernières années, notamment après le mouvement #MeToo qui a permis une libération de la parole des femmes.

"Malheureusement, nous sommes aujourd'hui en plein dans un profond backlash post-#MeToo", déplore-t-elle. "On assiste à un recul historique et dramatique des droits des femmes et de leur liberté de disposer de leur corps", après "un retour en force des mouvements féministes qui se sont mondialisés dès 2017 avec #MeToo".

Et, selon elle, il ne s'agit que du commencement. "On peut craindre un effet domino dans d'autres pays", regrette-t-elle, soulignant que la crise sanitaire du Covid-19 a eu aussi comme effet d'amplifier le phénomène. "Durant la crise, l’IVG a été considérée comme une intervention non essentielle et donc non urgente", note-t-elle.

Et l'Europe n'est pas en reste, note Amandine Clavaud, avec notamment un projet de loi en Pologne limitant l'avortement qui a abouti en janvier 2021, un autre projet en Slovaquie presque adopté avant d'être rejeté par le Parlement, et un accès à l'IVG rendu de plus en plus difficile en Roumanie et en Lituanie.

D'autres acquis menacés?

Et outre le risque de se propager à d'autres pays, ce retour de bâton en matière d'IVG pourrait également s'étendre à d'autres acquis, notamment le mariage pour tous ou l'accès à la contraception, regrette encore Amandine Clavaud.

C'est d'ailleurs ce que redoutent des défenseurs du droit à l'avortement aux Etats-Unis. Surtout depuis que le juge Clarence Thomas, considéré comme le plus conservateur de la Cour suprême des Etats-Unis, a proposé de remettre en cause plusieurs autres lois sociales. Il évoque notamment l'arrêt "Lawrence vs. Texas" de 2003 qui rend inconstitutionnelles les lois pénalisant les relations sexuelles entre personnes de même sexe, l'arrêt "Griswold vs. Connecticut" de 1965, qui consacre le droit à la contraception, ou encore celui de "Obergefell vs. Hodges" de 2015 protégeant le mariage pour tous au niveau des Etats-Unis.

Cette perspective "nous inquiète" et "nous allons avoir des situations cauchemardesques", a reconnu la porte-parole de la Maison Blanche, Karine Jean-Pierre. "C'est un moment effrayant".

Fabien Grenon

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La Suisse pas totalement à l'abri d'un retour de bâton en matière d'avortement

Alors que les Etats-Unis sont actuellement confrontés, cinq ans après #MeToo, à un retour de bâton sur la question de l'avortement, la Suisse non plus n'est pas totalement à l'abri d'un recul en matière d'IVG.

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Des initiatives souhaitant rendre l'accès à l'avortement plus compliqué sont en effet régulièrement lancée en Suisse, notamment par l'UDC. La dernière en date remonte à 2014. Intitulée "financer l'avortement est une affaire privée", elle voulait que les coûts liés à l'avortement cessent d'être remboursés par l'assurance maladie de base. Elle avait toutefois été balayée par 69,8% de non.

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Mais ce refus net ne semble pas freiner l'UDC. Deux initiatives ont été lancées en décembre 2021 par des conseillères nationales du parti agrarien afin de réduire le nombre des avortements en Suisse.

La première, intitulée "La nuit porte conseil", veut introduire un délai de réflexion d'un jour avant toute IVG. La seconde, "Sauver les bébés viables", s'oppose aux avortements tardifs. Le délai de récolte des signatures dure jusqu'au 21 juin 2023.

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