Ancien acteur à succès, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a compris dès les premières heures de l'invasion l'importance capitale de la guerre de l'information.
Sur les réseaux sociaux, dans des conférences internationales, des festivals, des manifestations, il n'a pas cessé d'apparaître pour appeler au soutien sans faille de l'Ukraine face "à la barbarie russe". Adepte des phrases chocs et professionnel de la communication, il a réussi à devenir un symbole fort de la résistance.
Mais alors qu'il continue à se manifester quotidiennement, dans des vidéos, via des communiqués de presse ou encore dans des tweets postés au coeur de la nuit où il demande toujours davantage d'armes pour lutter, l'avenir de l'Ukraine semble captiver de moins en moins.
Un désintérêt dû à la durée du conflit
Dans les derniers jours du mois de février, l'intérêt pour la question ukrainienne était massif dans l'opinion publique occidentale. Pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, un conflit de haute intensité s'ouvrait en Europe, avec comme belligérant une puissance nucléaire.
La peur d'une extension du conflit en Europe occidentale avec, pour certains, le souvenir de la Guerre froide, semblait alors pousser les gens à se renseigner au maximum sur la tournure des événements. Des événements qui semblaient d'ailleurs s'accélérer; dans les premiers jours, des forces russes se rapprochaient déjà dangereusement de la capitale ukrainienne.
Quatre mois plus tard, le panorama a changé. La guerre se poursuit, les combats sont toujours acharnés et meurtriers mais la perspective d'un contrôle total de l'Ukraine par l'armée russe s'est considérablement éloignée. Conséquence directe, l'intérêt pour la thématique a décru dans les populations, en Suisse comme ailleurs dans le monde. Sur Google Trends, un outil permettant de connaître la fréquence à laquelle un terme a été tapé dans le moteur de recherche, le mot "Ukraine" a connu sans surprise un pic au mois de février, avant d'afficher une baisse très significative.
Des logiques qui avait déjà été clairement établies lors d'autres conflits, en Afghanistan, en Irak ou encore en Syrie. Pour résumer, plus le conflit s'éternise, plus l'intérêt du public diminue.
Médias, la peur de tourner en rond
Le temps a également un effet important sur le traitement des médias. En s'inscrivant dans la durée et, surtout, en ne connaissant plus d'avancées significatives sur le champ de bataille, le conflit ukrainien offre de moins en moins d'angles d'analyses à la presse.
Inflation, risques alimentaires, énergie, accueil des réfugiés, ces thématiques sont toujours très suivies mais force est de constater que sur le terrain la situation s'est en partie "stabilisée". Alors que les informations du front arrivent au compte-gouttes, les autres sujets et thématiques regagnent donc logiquement en importance.
En Suisse, du 24 février au 24 mars, le journal Le Temps a par exemple consacré 20 Unes à la guerre en Ukraine et à ses conséquences et plus de 420 articles, analyses, interviews et commentaires. Du 28 mai au 29 juin, les chiffres passaient à 5 Unes et seulement 115 contributions. Aux mêmes périodes, dans le 19h30, l'émission la plus regardée de la RTS, l'Ukraine faisait l'ouverture du journal à 24 reprises au premier mois du conflit, contre 5 entre la fin mai et la fin juin.
Cinquante fois moins d'interactions sur les réseaux sociaux
Les téléspectateurs, lecteurs et autres internautes sont donc moins intéressés par ce conflit, mais en plus de cela, ils ont accès à moins d'informations de la part des médias. Une tendance qui se vérifie partout, à l'exception logique de la presse ukrainienne et de la propagande dans les médias d'Etat russes.
Mais mettre la faute sur les médias serait refuser de voir une tendance de fond. Dans un article publié début juin et intitulé "Le monde regarde ailleurs alors que la guerre d'Ukraine atteint les 100 jours", le site en ligne Axios révélait que les interactions en lien avec l'Ukraine sur les réseaux sociaux étaient passées à 345'000 le 22 mai, soit cinquante fois moins que le pic de près de 18 millions atteint dans les heures qui ont suivi le début de l'invasion russe.
Kiev semble d'ailleurs avoir saisi cette problématique et ne cesse de tenter de relancer le soutien international à son pays. La peur que l'Ukraine devienne une autre "guerre oubliée" est palpable quand Olena Zelenska, épouse du président, appelle sur la chaîne ABC News les Américains "à ne pas s'habituer à cette guerre" et "à notre douleur" au risque de vivre "une guerre sans fin".
Le risque d'un soutien politique affaibli?
Pour les autorités ukrainiennes, le risque serait que cette couverture médiatique moins dense, associée à un intérêt décroissant de la part des populations, influence à terme les ambitions politiques et ralentisse l'aide militaire, humanitaire et économique dont bénéficie le pays.
Michael Horrowitz, analyste en sécurité et en géopolitique au sein de Le Beck, une société de conseil, a récemment évoqué sur Twitter cette crainte d'un effet domino. D'après lui, ce déclin de l'intérêt pour l'Ukraine intervient à l'instant où le pays a le plus besoin de soutien, car elle doit désormais remplacer ses équipements hérités de l'ère soviétique par du matériel occidental. Une décrue des livraisons d'armes aurait donc une répercussion dramatique sur la faculté de Kiev à se défendre, explique le spécialiste.
Dans les faits, les politiques ne semblent pour l'instant pas avoir été affectés par la diminution de l'intérêt de l'opinion publique. Les puissances du G7, l'Union européenne ou encore l'Otan ont récemment réaffirmé leur soutien à l'Ukraine. L'aide militaire et financière continue par ailleurs d'affluer en direction de Kiev.
Pourtant, la plupart des études indiquent que l'opinion publique a souvent un rôle réel sur les décisions concernant la politique étrangère. Bien que déjà mesurable, l'impact sur les économies européennes ou américaine est pour l'instant "relativement" faible. A l'approche de l'hiver, si l'électricité, le pétrole ou le gaz venaient réellement à manquer, provoquant des coupures de courant, obligeant les Etats à réduire de quelques degrés les chauffages ou encore faisant littéralement exploser les prix à la pompe, la donne pourrait être différente.
Les opinions publiques pourraient alors devenir beaucoup plus critiques sur les régimes de sanctions envers Moscou, surtout si celles-ci n'empêchent pas la poursuite de la guerre en Ukraine. En d'autres termes, le temps semble ici jouer en faveur du Kremlin.
Tristan Hertig