Au début du mois de juin, Volodymyr Zelensky s'était rendu sur le front du Donbass, à Lyssytchansk plus précisément, pour porter ses messages d'encouragement à ses troupes. Les soldats ukrainiens étaient alors en proie à de terribles combats à Severodonetsk, ville voisine assiégée et harcelée par des tirs constants d'artillerie.
Un peu moins d'un mois plus tard, Severodonetsk est tombée dans l'escarcelle du Kremlin et il apparaîtrait tout à fait inenvisageable de voir le président ukrainien circuler dans les rues de Lyssytchanksk, où plutôt de ce qu'il en reste. Car la cité qui comptait 100'000 âmes avant le début de la guerre est pilonnée sans relâche depuis plusieurs semaines par l'artillerie russe: bâtiments éventrés, voitures calcinées, routes réduites à des tas de gravats, les dégâts sont si lourds qu'ils avaient fait dire au dirigeant ukrainien que Lyssytchansk était désormais "une ville morte".
Pourtant, comme à Severodonetsk, les forces ukrainiennes ont pris le parti de défendre cette ville en ruines, afin de continuer à infliger un maximum de pertes aux militaires russes. Disposant d'une topographie avantageuse, Lyssytchansk devait être plus facilement défendable que Severodonetsk, mais cela ne suffira pas selon toute vraisemblance.
Une retraite avant un encerclement complet?
A peine une semaine après la perte de Severodonetsk, les forces armées ukrainiennes sont en effet déjà en très mauvaise posture. En passant par le sud-ouest de la ville, Russes et pro-séparatistes ont réussi à éviter l'hécatombe qu'on leur prédisait s'ils avaient lancé leur offensive frontalement depuis Severodonetsk. Les positions élevées et les fortifications ukrainiennes auraient rendu l'avancée périlleuse.
Les combats se concentrent donc actuellement au sud-ouest, à environ 10 kilomètres du centre-ville, autour d'une raffinerie de pétrole. Si les Russes ont assuré en avoir pris le contrôle, les Ukrainiens ont affirmé que les échanges de tirs se poursuivaient. Pourtant, de plus en plus de rapports émergent en ligne et montrent que Moscou et les séparatistes auraient pris possession de tout ou partie de l'infrastructure, jugée stratégique pour le contrôle de la ville.
Le risque pour les forces ukrainiennes est un encerclement pur et simple. Pour Kiev, la retraite semble désormais inévitable. Jeudi, le ministère britannique de la Défense a d'ailleurs jugé que "le facteur clé" du conflit résiderait dans "la capacité des Ukrainiens à retarder les avancées russes" pour "se retirer en bon ordre", avant "d'être encerclés".
En remportant Lyssytchansk, la Russie s'emparerait du dernier bastion pour contrôler l'ensemble de l'oblast de Lougansk, jugé primordial par le Kremlin, car il veut en faire l'une des deux républiques sécessionnistes, avec celle de Donetsk.
Des problèmes logistiques ukrainiens dans le Donbass
Inexorablement, la situation semble bel et bien se dégrader pour Kiev dans le nord-est du Donbass (est). Faisant face à une concentration de l'artillerie russe, les forces ukrainiennes ont de plus en plus de peine à résister. Le président Volodymyr Zelensky continue donc à exiger rapidement davantage d'armes lourdes occidentales pour pouvoir rivaliser avec Moscou.
Dans les faits pourtant, c'est du matériel beaucoup plus basique qui semble faire défaut côté ukrainien. Il manque par exemple de l'équipement essentiel de vision nocturne, pour pouvoir continuer de manière efficace les combats de nuit. De son côté, le New York Times a pu interroger une vingtaine de soldats revenant du front et tous ont signalé un problème similaire, des carences dans les systèmes de communication.
Les Russes arriveraient à brouiller très fréquemment les radios ukrainiennes. Les soldats auraient donc souvent beaucoup de mal à joindre un commandant pour demander un soutien de leur artillerie. Même la communication avec d'autres unités stationnées pourtant à proximité serait défaillante, poussant occasionnellement les forces ukrainiennes à tirer les unes contre les autres.
Ces conditions rendent par ailleurs encore plus difficile une future évacuation, alors que selon le gouverneur de la région de Lougansk Serguii Gaïdai, il y aurait encore "15'000 civils dans la ville".
Des raisons d'espérer pour Kiev
Mais si la situation se dégrade de plus en plus dans l'oblast de Lougansk, l'armée ukrainienne a réussi à maintenir voire à reprendre du territoire dans plusieurs autres régions du pays.
Au nord de Kharkiv, la bataille se poursuit en dents de scie. Si les forces ukrainiennes ne semblent pas en mesure de repousser l'armée russe pour le moment, elles ne reculent pas non plus et le combat reste indécis. Autour de Kherson en revanche, au sud du pays, l'armée ukrainienne a fait des gains réguliers, "en rongeant les positions russes" et en "se rapprochant un peu plus de la ville", rappelle dans un tweet Michael Kofman, directeur des études russes au CNA, un institut de recherches américain. (Voir sur le tweet ci-dessous, en jaune, le terrain repris par les forces ukrainiennes).
L'expert ajoute que Kherson est l'endroit où une future contre-offensive ukrainienne pourrait se dérouler. Il ajoute que "bien que l'accent soit actuellement mis sur le Donbass", Kherson est "économiquement et stratégiquement" plus importante pour l'Ukraine.
Enfin, agressés en permanence, les Russes ont dû également se retirer de l'île aux Serpents, un territoire pas uniquement symbolique, qui pourrait à l'avenir permettre à Kiev de positionner des batteries côtières qui seraient capables d'interdire toute action militaire russe sur une grande partie de l'ouest de la mer Noire.
>> Le suivi de la situation en Ukraine : Les forces russes se retirent de l'île aux Serpents, en mer Noire, un succès symbolique pour Kiev
Au final, l'issue des combats est encore loin d'être déterminée. Une perte de Lyssytchansk ne signifierait en aucun cas une berezina pour les forces ukrainiennes, qui continuent à combattre farouchement sur d'autres portions du territoire.
Pour la plupart des experts, le manque d'effectifs devient par ailleurs de plus en plus criant pour les deux belligérants qui ont encaissé de lourdes pertes depuis le début de l'invasion. Face au manque de ressources, le conflit devrait donc continuer à ralentir et à prendre de plus en plus les formes d'une guerre d'usure et de positions.
Tristan Hertig