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Les Brigades rouges empoisonnent toujours les relations entre la France et l'Italie

Communiqués des Brigades rouges revendiquant des attentats dans les années 70 et 80. [Reuters - Stefano Rellandini]
40 ans après, les brigades rouges empoisonnent toujours les relations entre la France et l'Italie / Tout un monde / 7 min. / le 11 juillet 2022
La justice française s'est opposée fin juin à l'extradition de dix anciens activistes italiens d'extrême gauche, notamment des Brigades rouges, réclamés par l'Italie pour leur rôle pendant les "années de plomb". Ce dossier empoisonne les relations entre les deux pays depuis quarante ans.

En 1978, le chef de la Démocratie chrétienne italienne Aldo Moro était enlevé, puis assassiné par les Brigades rouges. Cet événement a marqué la fin d'une quinzaine d'années d'actes terroristes en Italie, les fameuses "années de plomb", entre la fin des années 1960 et le début des années 1980.

Epoque de violentes luttes sociales, les "années de plomb", marquées par une surenchère entre ultradroite et ultragauche composée d'une myriade de groupuscules révolutionnaires, dont les Brigades rouges, se solderont par plus de 360 morts attribués aux deux bords, des milliers de blessés, 10'000 arrestations et 5000 condamnations.

En mars 1978, les Brigades rouges enlèvent à Rome Aldo Moro, le président de la Démocratie chrétienne durant les "années de plomb". [AFP]
En mars 1978, les Brigades rouges enlèvent à Rome Aldo Moro, le président de la Démocratie chrétienne durant les "années de plomb". [AFP]

Au printemps 2021, après des mois de tractations, le président français Emmanuel Macron avait décidé de favoriser la mise à exécution des demandes d'extradition de deux femmes et huit hommes, installés en France depuis plus de trente ans. Ces dix militants, âgés aujourd'hui de 61 à 78 ans, sont réclamés par l'Italie.

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Ils ont tous été condamnés, souvent par contumace, à des peines très lourdes, parfois même à perpétuité, pour tentative d'enlèvement, participation à des meurtres de policiers, de magistrats ou de chefs d'entreprise dans les années 1970-1980.

La "doctrine Mitterrand"

Tous se croyaient pourtant protégés par la "doctrine Mitterrand". Le président socialiste français François Mitterrand (1981-1995) s'était en effet engagé à ne pas extrader les anciens activistes ayant rompu avec leur passé.

"Quand François Mitterrand a mené sa campagne pour le présidentielle en 1980, il a proposé, dans plusieurs discours, d'accueillir les anciens terroristes italiens des années 1970, notamment les Brigades rouges. En échange, ils devaient déposer les armes, renoncer à la violence et se faire discrets. (...) Il s'agit de paroles données qui n'ont jamais été formalisées, mais qui ont été suivies par ses successeurs", résume Grégoire le Quang, maître de conférence en histoire contemporaine à l'Institut catholique de Paris, lundi dans l'émission de la RTS Tout un monde.

>> Réécouter aussi l'interview de l'ancien chef des Brigades rouges italiennes Giovanni Senzani dans Forum :

Giovanni Senzani a participé à la présentation du film "Sangue", de Pippo Delbono, à la Cinémathèque suisse. [DR/Cinémathèque suisse]DR/Cinémathèque suisse
L'ancien chef des Brigades rouges italiennes revient sur son parcours / Forum / 11 min. / le 13 janvier 2016

Arrestations en 2021

Mais l'Italie n'a jamais renoncé à demander ces extratitions. Emmanuel Macron rompra finalement avec la doctrine Mitterand. La justice française en fera arrêter un certain nombre en 2021, en attendant une décision de la Cour d'appel de Paris. "C'est un moment historique de la relation franco-italienne" et "une prise de conscience par la France, après des années d'atermoiements, voire une certaine complaisance, du traumatisme des années de plomb", s'était félicité l'Elysée lors des arrestations.

Emmanuel Macron "a souhaité régler ce sujet. Ces interpellations clôturent totalement ce dossier", avait ajouté la présidence de la République.

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Mais, fin juin, la chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Paris a rendu un avis défavorable à leur remise à l'Italie, en s'appuyant sur le respect du droit à la vie privée et familiale et sur le respect du droit à un procès équitable, citant la Convention européenne des droits de l'Homme.

"La doctrine Mitterrand a eu un rôle de conciliation", estime Ludmila Acone, historienne spécialiste de l'Italie. "Tous ceux qui s'y sont pliés ont déposé les armes. Il faut placer tout cela dans un contexte historique. Il y a une longue tradition, pas seulement en Italie, de contestations, y compris avec des attentats."

"Vision romantique" des années de plomb

Mais Grégoire le Quanq nuance: "Du côté français, on a parfois une vision romantique de la lutte armée italienne, en disant que l'Etat avait, lui aussi, haussé le niveau de l'affrontement. Tout cela passe sous silence le fait que les groupes, notamment les Brigades rouges et Prima Linea, ont cherché à déclencher une guerre civile à travers des assassinats ciblés qui étaient aussi pensés pour mobiliser le prolétariat."

Selon le maître de conférence en histoire contemporaine, cela n'a pas fonctionné. "Au cours des années 1970, plus les crimes ont été violents et spectaculaires, plus la classe ouvrière s'est détachée des groupes terroristes. C'est la raison pour laquelle ces demandes d'extradition font consensus dans l'opinion publique italienne."

Les journaux italiens, de gauche comme de droite, ont très mal pris la décision de la justice française de refuser l'extradition de plusieurs ex-membres des Brigades rouges. [AFP - VINCENZO PINTO]
Les journaux italiens, de gauche comme de droite, ont très mal pris la décision de la justice française de refuser l'extradition de plusieurs ex-membres des Brigades rouges. [AFP - VINCENZO PINTO]

La vox populi s'est renforcée à la suite du refus de la Cour d'appel de Paris d'extrader ces anciens militants, ex-terroristes. Les journaux italiens, de gauche comme de droite, ont très mal pris la décision de la justice française. "Il y a toujours eu un préjudice envers le système judiciaire italien, une méfiance qui a ensuite permis à tous les expatriés, à tous les fugitifs italiens, qui pendant vingt à trente ans ont trouvé refuge en France, d'alimenter et de rendre populaire une narration sur les années de plomb et sur la période de terrorisme en Italie, qui n'a aucun fondement. Ces personnes n'ont rien de révolutionnaire", souligne Carlo Bonini, vice-directeur du journal "La Repubblica".

Cependant, le cas de Cesare Battisti a un peu terni l'interprétation "romantique" de cette période. L'ancien terroriste, longtemps résident en France et encensé par de nombreux intellectuels, a été incarcéré en Italie après une longue cavale. Et il a finalement avoué avoir commis les homicides pour lesquels il avait été condamné.

Un procès réclamé

Carlo Bonini dénonce une forme de complaisance, voire d'hypocrisie de la part de la justice française, alors qu'elle s'est montrée sévère contre Salah Abdeslam, lors du procès des attentats du 13 novembre: "Au moment où la France a commencé à être frappée par le terrorisme, elle s'est dotée d'une législation antiterroriste qui s'est beaucoup inspirée des lois de notre pays. Elle a donc aussi montré d'une certaine manière, qu'au moment de l'agression, un pays souverain a le droit de se défendre (...)."

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Et d'ajouter: "Je suis un homme de gauche, je ne suis ni un conservateur, ni un réactionnaire. Mais cela ne m'empêche pas de penser que cette période de notre histoire mérite un jugement historique et politique complètement différent." Un avis partagé par certaines victimes en Italie. En avril 2021, le journaliste Mario Calabresi, fils d'un commissaire de police tué en 1972 à Milan, avait résumé ses sentiments ambivalents face à l'arrestation d'un homme de 78 ans, condamné pour avoir participé au meurtre de son père.

A la télévision italienne, il expliquait que vu qu'ils "ont bénéficié d'une impunité, et qu'ils n'ont jamais payé pour leurs actes, ils pourraient donner un morceau de vérité, raconter quelque chose sur ces années qui ont terrorisé l'Italie".

"Les zones de non-droit ne peuvent exister pour qui a tué", avait-il également twitté, "mais je ne parviens pas à éprouver de la satisfaction à voir une personne vieille et malade mise en prison si longtemps après" les faits.

Francesca Argiroffo/vajo avec afp

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