La Tour Eiffel rongée par la rouille? L'état du plus célèbre monument de Paris inquiète
"La rouille a gagné et ronge le fer du monument comme les termites le bois", écrit Marianne. Selon le magazine, le symbole de Paris est très mal en point. Entre 2010 et 2016, plusieurs rapports d'experts confidentiels, dont il détient des copies, mettent en garde sur les défauts de maintenance et l'ampleur des dégradations.
Lancée en 2018, la 20e campagne de peinture de la Tour Eiffel sera non seulement la plus chère, mais probablement aussi la plus inefficace de l'histoire du monument, affirme le journal.
Marianne parle même d'un "fiasco". Son ravalement actuel ferait surtout office de "cache-misère". "Dans l'urgence, à certains endroits, une simple couche de peinture est juste badigeonnée sur les couches existantes, qui s'écaillent et ne tiennent pas, c'est une hérésie" s'alarme un spécialiste. "Si Gustave Eiffel visitait les lieux, il aurait une syncope", lance un autre.
Les travaux, qui ambitionnaient de décaper la peinture, ayant une épaisseur qui atteint jusqu'à 3 millimètres, et de repeindre 30 % de l'ouvrage, n'en concerneraient finalement que 5 %, soit le seul arc décoratif donnant sur le Champ-de-Mars, selon Marianne. Début 2021, ces travaux avaient connu une interruption, en raison des traces de plomb mesurées en surface, dans l'enceinte du monument, apparues à l'occasion du décapage.
Réalisé à la main par des cordistes, le chantier est orchestrés par la Société d'exploitation de la tour Eiffel (SETE) - entité publique locale détenue à 99 % par la Ville de Paris et à 1 % par la Métropole du Grand Paris - qui a exclu une fermeture longue du monument au public, rentabilité oblige.
Etat de conservation "remarquable"
La SETE a assuré, auprès de l'AFP, que la Tour Eiffel n'avait "jamais été aussi préservée". Elle "va continuer à tenir debout avec ce fer impeccable", assure Patrick Branco Ruivo, le directeur général de la SETE.
"Pour la première fois de son histoire, on a décapé la tour, c'est-à-dire qu'on a retiré l'intégralité des couches de peinture" sur l'arc sud situé au-dessus du Champ-de-Mars, le plus soumis au vent, à la pluie et au soleil, et de fait le plus dégradé. "On a découvert que le fer puddlé était impeccable, alors qu'on était dans la partie la plus abîmée" par la rouille, ajoute Patrick Branco Ruivo.
Une analyse confirmée par Pierre-Antoine Gatier, architecte en chef des monuments historiques sur la chaîne TF1: "Derrière cette peinture qui se décolle, qui se détache, qui est irrégulière, le fer choisi par Gustave Eiffel est dans un état de conservation remarquable."
Alerte sur 68 éléments
Si le décapage ne concerne que 5% du monument, "il y a 15% de la structure qui, pour la première fois, est vraiment reprise en profondeur, comme le préconisait un rapport", souligne Patrick Branco Ruivo.
Cette partie de l'opération est désormais terminée avec le démontage d'un échafaudage de 450 tonnes, plus haut que l'Arc de Triomphe, qui doit être achevé d'ici au feu d'artifice du 14 juillet. Le retard pris et le changement de méthode ont eu pour conséquence le quasi-triplement du coût du chantier, de 32 à 84 millions d'euros, selon le directeur général.
Quant aux plus de 800 défauts évoqués par le magazine Marianne, sur 18'000 pièces, il s'agit pour la plupart de pièces qui n'avaient pas reçu la note maximale, assure le directeur. "Les 68 éléments qui ont fait l'objet d'une alerte étaient des éléments secondaires", comme des cornières, ajoute Patrick Branco Ruivo. Leur remplacement progressif est en cours.
Emoi de la presse internationale
Les révélations du magazine Marianne rencontrent un vif écho à l'étranger, où l'on se soucie de la Tour Eiffel, visitée par plus de 6 millions de personnes chaque année, rapporte le Courrier international.
"A la nuit tombée, la tour Eiffel se met à briller de mille feux pendant quelques minutes toutes les heures. Les milliers d'ampoules rendent l'emblème de Paris encore plus somptueux et glamour qu'à l'accoutumée. Mais les visiteurs qui gravissent la Dame de fer ont tout intérêt à ne pas la regarder de trop près", conseille Der Spiegel à Berlin.
Le jeu des 7 couleurs
" La peinture est l'élément essentiel de conservation d'un ouvrage métallique et les soins qui y sont apportés sont la seule garantie de sa durée, écrivait l'ingénieur Gustave Eiffel dans son ouvrage 'La tour de 300 mètres'. Ce qui est le plus important est de s'opposer à un commencement de rouille."
En 133 ans, la Tour Eiffel a déjà été repeinte 19 fois, soit en moyenne tous les sept ans. Elle compte déjà trente-quatre couches de peinture successives. Toutefois, elle n'avait pas changé de couleur depuis cinquante-trois ans. D'abord peinte en rouge Venise lors de sa construction en 1887-1888, la tour passe au brun rouge à l'occasion de l'Exposition universelle en 1889.
Trois ans plus tard, elle s'habille d'une couleur ocre-brun avant de laisser place à un dégradé de cinq jaunes en 1900. Sept ans plus tard, Gustave Eiffel l'orne d'un jaune-brun, teinte dorée qu'elle a connue pendant quarante ans avant de virer au rouge-brun en 1954 et enfin à un brun Tour Eiffel conçu spécialement pour le monument en 1968. La Tour Eiffel devrait retrouver son jaune-brun d'origine en vue des Jeux olympiques de 2024, à Paris.
Valentin Jordil avec agences