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Toujours plus de mineurs seuls parmi les rescapés de la Méditerranée

Caroline Abu Sa’da, directrice de l’antenne suisse de SOS Méditerranée.
Caroline Abu Sa’da, directrice de l’antenne suisse de SOS Méditerranée.
Les sauvetages se sont multipliés ces dernières semaines au large de la Libye. SOS Méditerranée s'alerte des temps d'attente qui s'allongent pour débarquer les rescapés et de la présence toujours plus forte de mineurs non accompagnés parmi les migrants.

Le navire humanitaire Ocean Viking (SOS Méditerranée) a dû lancer un appel, début juillet, pour pouvoir accoster de toute urgence avec 306 migrants à bord. Il a finalement pu s'amarrer mardi dernier en Sicile, où les rescapés ont été pris en charge par les autorités italiennes et les organisations de secours.

Délai d'attente toujours plus long

Certains d’entre eux ont passé douze jours à bord du navire dans l'attente de pouvoir accoster. "C'est vraiment une tendance que l'on constate ces derniers mois", souligne la directrice de l’antenne suisse de l'ONG SOS Méditerranée Caroline Abu Sa’da, invitée mardi de La Matinale de la RTS. "Le délai d'attente est de plus en plus long, ce qui est un vrai problème. Cela pose énormément de soucis à bord de bateaux comme le nôtre".

Et l'été est synonyme de canicule aussi en Méditerranée. "On est sur des températures extrêmement élevées, avec des gens extrêmement vulnérables, dans des états physique et psychologique assez dramatiques", déplore-t-elle. "Et on rajoute à ça dix, onze, douze jours d'attente sans savoir exactement ce qui va se passer".

Retards dûs à l'abandon des protocoles Covid

Les délais s'allongent aussi en raison des changements intervenus cette année en matière de protocoles liés au Covid-19. "Avant, il y avait des bateaux de quarantaine, on attendait qu'ils soient libres pour que les autorités les mettent dessus", explique Caroline Abu Sa’da. "Mais il n'y en a plus à l'heure actuelle en Italie et il faut donc qu'ils réorganisent tout le système".

Ces retards ont évidemment des conséquences sur les sauvetages en mer: "Plus on attend, plus cela cause de soucis aux rescapés et plus cela nous empêche d'être sur les zones de sauvetage en Méditerranée". L'Ocean Viking devrait cependant pouvoir repartir d'ici quelques jours, le temps de le nettoyer et de le ravitailler.

"De petites embarcations dans des états déplorables"

Un enfant parmi les rescapés d'une précédente opération, fin mai 2022. [SOS Mediterranée/AP/Keystone - CANDIDA LOBES]
Un enfant parmi les rescapés d'une précédente opération, fin mai 2022. [SOS Mediterranée/AP/Keystone - CANDIDA LOBES]

Sa dernière opération a mis en lumière aussi des phénomènes nouveaux: "On a eu huit sauvetages différents, sur plusieurs jours, ce qui n'est généralement pas le cas. On a plutôt plusieurs sauvetages très rapprochés", explique la directrice suisse de SOS Méditerranée. "Cette fois, on en a eu plusieurs avec de petites embarcations dans des états déplorables, avec des gens qui n'avaient évidemment pas de gilets de sauvetage".

Et l'ONG a constaté aussi et depuis quelques mois un nombre élevé de mineurs non-accompagnés, presque 35% des personnes à qui elle a porté secours. "On avait aussi plus d'une cinquantaine de femmes, dont quatre enceintes" lors du dernier débarquement, précise Caroline Abu Sa’da.

"On sait que la situation ne s'améliore pas"

Aujourd'hui, la plupart de ces migrants prennent la mer depuis la Libye (lire encadré). "Ce sont des gens qui ont dérivé pendant trois-quatre jours en mer. On sait aussi, d'après l'Agence internationale pour les migrations de l'ONU, qu'une autre embarcation a dérivé pendant neuf jours et n'a pas été retrouvée. Il y a eu plus de vingt morts. Donc on sait que la situation ne s'améliore pas".

Et les humanitaires savent également que la situation empire avec l'été. "Les conditions météo font qu'il y a de plus en plus de départs. Et il y a toujours un manque de moyens de recherche et de sauvetage assez drastique".

Propos recueillis par Karine Vasarino/oang

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Appels au respect du droit maritime

Comme d'autres ONG, SOS Méditerranée dénonce le désengagement des Etats membres de l'UE et réitère une demande urgente du respect du droit maritime.

Caroline Abu Sa’da explique qu'il s'agirait de mettre en place un système européen de recherche et de sauvetage. "Et tant que cela n'est pas le cas, au moins de mettre en place un mécanisme prédictible et sûr de débarquement pour éviter ces délais d'attente", précise-t-elle.

Six agences des Nations unies ont du reste appelé conjointement la semaine dernière à un respect du droit maritime, du droit international, et à la mise en place de ports sûrs de débarquement le plus rapidement possible.

"Nous, on a vraiment besoin que cela se mette en place le plus vite possible pour pouvoir faciliter notre action et surtout pour pouvoir empêcher des morts en mer".

Trois routes principales en Méditerranée

Les navires de secours, parmi lesquels celui de SOS Méditerranée, sillonnent une partie limitée de la mer. De nombreux migrants tentent la traversée depuis des côtes africaines, hors des radars humanitaires.

"On parle généralement de trois routes principales", rappelle Caroline Abu Sa’da: "Il y a la route de l'est entre la Turquie et la Grèce; la route centrale qui part de la Libye, un peu de la Tunisie, et qui remonte vers l'Italie et Malte; et la route de l'ouest entre le Maroc et l'Espagne".

Mais il y a une quatrième route ouverte, avec beaucoup de naufrages, vers les îles Canaries. "On la suit avec attention, parce qu'il y a énormément de départs et énormément de morts, avec très peu de moyens à l'heure actuelle" pour les secourir", explique la directrice suisse de l'ONG.

Et il y a beaucoup de naufrages invisibles: "On sait que des bateaux partent, qu'il y a des morts, mais on ne sait pas exactement ce qui se passe. En matière de chiffres, tout relève de l'estimation à l'heure actuelle".