Traumatisés par le drame des pensionnats, les autochtones attendent les excuses du pape au Canada
Tout un symbole: sur les murs, des mots autrefois interdits, dans la cafétéria, des peintures traditionnelles et sur la pelouse, des tipis. A l'Université nuhelot'ine thaiyots'i nistameyimâkanak Blue Quills (autrefois le pensionnat Blue Quills), des étudiants autochtones se réapproprient leurs langues.
"On m'a élevée en me disant qu'on était inférieurs aux autres et j'ai cru ça presque toute ma vie", confie Veronica Fraser, 60 ans, la voix étranglée par un sanglot. Arrivée sans aucune connaissance de la langue crie, cette autochtone est bouleversée de pouvoir aujourd'hui réintroduire cette langue dans sa famille, avec ses enfants et petits-enfants.
Dans ce pensionnat, bâtisse de briques dans l'Ouest canadien (province d'Alberta), il a longtemps été interdit de parler une langue autochtone.
Des milliers d'enfants arrachés à leurs familles y ont vécu coupés de leur culture et de leurs racines. L'objectif énoncé était de "tuer l'Indien dans le coeur de l'enfant" comme dans les 130 pensionnats du genre à travers le pays.
L'Alberta est la province qui comptait le plus grand nombre de pensionnats et c'est ici que le pape François, en visite dans le pays du 24 au 30 juillet, a prévu de présenter ses excuses pour le rôle de l'Eglise dans ce système.
Faire revivre langues et culture
Dans l'ancien pensionnat, les 250 élèves et les professeurs s'appliquent à faire revivre langues autochtones (cri, déné) et culture traditionnelle. Sont aussi au programme, des cours d'économie et de sociologie.
"On reprend possession de ce qui nous a autrefois été pris. Une grande partie de notre programme c'est ça: reprendre possession de notre héritage, notre langue, notre culture, nos coutumes, notre histoire", explique Wayne Jackson, professeur de cri.
Avec plus de 96'000 locuteurs au Canada, c'est la langue autochtone la plus parlée au pays, selon un recensement de 2016.
Ce travail de réappropriation dure depuis plus de 50 ans: à l'été 1970, des parents d'élèves occupent le pensionnat pour reprendre le contrôle de l'éducation de leurs enfants, faisant de cet établissement scolaire le premier au Canada géré par des autochtones.
Pourtant Wayne Jackson reste inquiet, car cet équilibre est fragile. "Il suffit qu'une génération de locuteurs ne parlent pas une langue et elle est perdue."
afp/doe
Des excuses à forte portée symbolique
La visite du pape François fin juillet devrait être un moment fort pour le pays tout entier, qui est confronté aux aspects les plus sombres de son histoire, explique Marie-Pierre Bousquet, directrice d'un programme en études autochtones à l'Université de Montréal.
"Pour les autochtones et même pour tous les Canadiens, il est fondamental que les excuses soient prononcées ici, en terre canadienne (le pape a présenté ses excuses aux autochtones en avril dernier au Vatican, n.d.l.r). Cela leur donne une toute autre force, une autre portée. De plus, dans les cultures autochtones, la terre des ancêtres revêt une importance particulière."
Et d'ajouter: "Il est important que de nombreux survivants y assistent. C'est une demande très ancienne, des années qu'ils attendent", souligne la spécialiste.
"Du côté des autochtones, il y a un désir très fort de décolonisation, que la société canadienne regarde aujourd'hui en face les conséquences du système d'assimilation mis en place pendant des décennies. Ce sera une énorme déception si cette prise de conscience ne se fait pas", précise-t-elle.