Les enclaves correspondent à des petits bouts de pays dans un autre. L'Espagne en possède deux au nord du Maroc du nom de Ceuta et Melilla, qui font régulièrement l'actualité pour des questions migratoires parfois tragiques.
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Les deux enclaves espagnoles ont toujours été des villes très disputées. Lors de la période de la "Reconquista", qui désigne la reconquête de la péninsule ibérique visant à expulser les musulmans du territoire, Ceuta, alors aux mains du sultanat du Maroc, a été conquise dans un premier temps par les Portugais en 1415. Melilla, plus à l'est, est passée elle dans le giron de l'Espagne en 1497.
Le 19e siècle marque le temps du questionnement sur le statut de Ceuta et Melilla: sont-elles espagnoles ou des colonies? Vient ensuite le tournant de la guerre hispano-marocaine en 1860. Alors que l'Europe se lançait dans la colonisation de l'Afrique, l'Espagne s'est servie de ses deux possessions comme têtes de pont.
Pas de cession en vue
Actuellement, en Espagne, la question de la cession des deux enclaves au Maroc ne semble pas à l'ordre du jour. Elle apparaît même incongrue, voire provocatrice dans le pays. Ces villes, qui peuvent paraître une anomalie géographique, sont espagnoles depuis plusieurs centaines d'années, rappelle Haizam Amirah Fernandez, chercheur à l'institut Real Elcano de Madrid.
"Il y a des pays qui ont des territoires dans d'autres continents situés encore plus loin et depuis moins longtemps, et personne ne se demande si ces départements d'outre-mer leur appartiennent ou non", ajoute-t-il, en référence notamment à la France. La Constitution espagnole garantit par ailleurs l'indivisibilité du territoire, comprenant Ceuta et Melilla.
Très petites, les enclaves de Ceuta et Melilla ne dépassent pas respectivement les 20 et 14 kilomètres carrés. Des sociétés mixtes cohabitent dans ces territoires. A Ceuta, par exemple, 40% de la population est de confession musulmane.
Chacune des villes compte environ 82'000 habitants et les Espagnols y sont ancrés depuis longtemps. "Il y a des familles très anciennes, certaines remontent à plusieurs siècles. Une partie importante des habitants est arrivée au début du siècle, car l'Espagne s’était alors convertie en plateforme de pénétration dans ce qui était le protectorat du Maroc. La majorité sont venus d'Andalousie", explique José Antonio Alarcon Caballero, directeur de la Bibliothèque publique de Ceuta.
Des intérêts communs
Les deux enclaves collaborent de manière plus ou moins tendue avec le Maroc. Alors que les enjeux migratoires prennent de plus en plus d'importance dans ces territoires, les autorités marocaines utilisent parfois la question de l'immigration comme levier pour faire pression sur le gouvernement espagnol.
Pour Haizam Amirah Fernandez, les deux parties devraient plutôt "réfléchir en termes d'intérêts communs et non de souveraineté ou d'affrontement". "Il faut coopérer et profiter des avantages comparatifs de ces villes, ainsi que de leur environnement proche", estime-t-il.
Si elles représentent des points stratégiques, Ceuta et Melilla sont encore méconnues, y compris des Espagnols. "Un très petit pourcentage de la population espagnole connaît ces deux villes enclaves", affirme le chercheur, qui appelle à un effort sur la question.
"Il faudrait remédier à cela avec plus de tourisme, car ces enclaves font partie du territoire national." Sur le plan culturel, Melilla est par exemple la deuxième ville après Barcelone en termes d'architecture moderniste, illustre Haizam Amirah Fernandez.
Valérie Demon/iar
Des relations parfois tendues
En 2002, des tensions avaient éclaté autour de l'îlot du Persil, une petite île dans le détroit de Gibraltar à 8 kilomètres de Ceuta, revendiquée par l'Espagne et le Maroc, lorsque des gendarmes marocains ont planté leur drapeau sur ce caillou inhabité, ce qui a provoqué un conflit diplomatique.
Le président espagnol conservateur de l'époque, José Maria Aznar, a très rapidement exprimé sa fibre nationaliste. Des commandos espagnols ont débarqué quelques jours plus tard sur l'îlot avec l'aide de six hélicoptères. Les Marocains installés n'ont pas opposé de résistance et ont été ramenés au Maroc.
Il aura tout de même fallu l'intervention de Colin Powell, alors secrétaire d'Etat américain, pour éviter que l’affaire ne dérive en affrontement. A la suite de l'entremise, Madrid avait finalement retiré ses troupes et le Maroc s'était engagé à ne pas revenir sur l'îlot.