Alors que l'invasion russe en Ukraine a des conséquences sur l'alimentation mondiale et sur l'énergie, elle a aussi un impact sur les voies du trafic de drogue. Le centre d'observation des drogues et de la consommation de drogue de l'Union européenne (OEDT) est inquiet, notamment avec le changement de l’une des principales routes de l'héroïne produite en Afghanistan, qui passait avant par l'Ukraine.
Le rôle de l'Ukraine sur la route de l'héroïne
"Historiquement, l'Ukraine est un point central de transit pour l'héroïne en provenance d'Afghanistan. Elle a aussi un marché de consommation intérieure relativement important. Tout cela fait que le commerce de drogue joue un rôle clé dans les réseaux criminels dans tout le pays", a expliqué lundi dans l'émission Tout un monde John Collins, directeur à Global Initiative, une ONG basée à Genève et spécialisée dans la lutte contre le crime organisé transfrontalier.
Si les zones urbaines comme Kiev sont plutôt des lieux de consommation de drogue, les villes les plus éloignées de celles-ci sont les plaques tournantes du trafic. "La ville de Kharkiv ou le nord du Donbass sont des bases logistiques importantes pour la contrebande, tout comme les régions frontalières de l’ouest de l’Ukraine, la région de Lviv ou les Carpathes, qui permettent de faire passer la drogue vers l’Europe de l’Ouest ou la Biélorussie", précise l'expert.
Mais avec le conflit en cours, les trafiquants n'ont plus d'intérêt à utiliser cette route ukrainienne. "A un niveau macro, la guerre a interrompu et beaucoup perturbé les chaînes de distribution. L'imposition de la loi martiale a perturbé le business as usual du monde criminel, notamment en raison du risque accru d’être fouillé", souligne-t-il.
Des nouvelles routes vers la Méditerranée
Le Centre d’observation des drogues et de la consommation de drogue de l'UE a déjà remarqué un déplacement du trafic autour de la mer Noire et vers d’autres pays limitrophes. Ce qui explique l'inquiétude de l'observatoire européen "de voir la drogue passer désormais par les îles grecques et le sud de la Méditerranée", note John Collins.
"Nous observons que les trafiquants tentent d'utiliser les ports européens pour mettre en place de nouvelles chaînes d’approvisionnement, ce qui pourrait changer la dynamique au sein des réseaux criminels en Europe de l'Est et créer de nouvelles routes vers l’Europe", précise-t-il.
"On voit déjà que la Pologne sert de route alternative pour l'héroïne en transit depuis la Russie via la Biélorussie, ce qui pourrait signifier que la route ukrainienne aurait été remplacée. Mais le renforcement des contrôles à la frontière biélorusse, y compris la construction d’un mur, pourrait rendre cette nouvelle route trop compliquée", ajoute John Collins.
Vincent Stöcklin/aps
La guerre un marché intéressant pour les drogues de synthèse
La guerre a également eu un impact sur le flux d'autres drogues, comme les opioïdes de synthèse et les méthamphétamines, qui vont de l'Europe vers la Russie. "Avant la guerre, ce flux passait par l'Ukraine avant d'aller en Russie. Il pourrait désormais se déplacer vers la République Tchèque, la Slovaquie, les Pays baltes et la Biélorussie", précise John Collins.
Comme démontré en Syrie, "les méthamphétamines présentent un risque important dans les pays en conflit, notamment lorsque celui-ci s'éternise", ajoute-t-il. Si la guerre perturbe dans un premier temps le trafic, elle offre ensuite de nouvelles opportunités. C'est le cas des produits de synthèse, qui ont des composants faciles à se procurer et à produire. La demande est forte et la marge de profit est importante dans les zones de guerre.