Modèle de coopération internationale réunissant l'Europe, le Japon, les Etats-Unis et la Russie, l'ISS a commencé à être assemblée en 1998. Sa mise à la retraite était prévue initialement en 2024, mais la NASA a estimé qu'elle pouvait fonctionner jusqu'en 2030.
L'annonce russe du retrait de l'ISS intervient une dizaine de jours après la nomination à la tête de l'Agence spatiale russe (Roscosmos) d'un nouveau patron, Iouri Borissov. Celui-ci a remplacé Dmitri Rogozine, connu pour son style abrasif et son nationalisme outrancier.
"La décision de se retirer a été prise"
"Vous savez que nous travaillons dans le cadre de la coopération internationale à la Station spatiale internationale. Nous remplirons certainement toutes nos obligations envers nos partenaires, mais la décision de se retirer de cette station après 2024 a été prise", a déclaré Youri Borissov.
"Je pense qu'à ce moment-là, nous commencerons à former la station orbitale russe. Je crois que l'avenir de l'astronautique habitée russe, avant tout, devrait reposer sur une programme scientifique équilibré et systématique, afin que chaque vol nous enrichisse de connaissances dans le domaine spatial", a-t-il ajouté.
Collaboration difficile sur le plan éthique
Interrogé mercredi dans la Matinale de la RTS, l'astrophysicien et astronaute suisse Claude Nicollier ne s'est pas montré surpris par l'annonce de Moscou.
"On s'attendait à une réaction de ce type de la part de la Russie, même si on ne savait pas quand et si ça allait vraiment se passer", dit-il en se déclarant "soulagé" d'un certain point de vue. "Cette coopération entre les Etats-Unis, la Russie, le Canada, le Japon et l'Europe souffre considérablement de l'invasion de l'Ukraine par la Russie", explique cet ancien des missions spatiales. "La continuation d'une activité en coopération dans la station spatiale est difficilement soutenable du point de vue purement éthique".
La mission commune se poursuit en orbite
L’annonce a fait le tour du monde, mais la NASA n’a pas encore été informée officiellement et les sept membres d’équipage russes, américains et européens travaillent en l'état sans souci en orbite. Un accord a même été signé en juillet pour faire voler des Russes sur des vaisseaux américains et des Américains sur des lanceurs Soyouz.
Et le fait que la NASA ait été tenue à l'écart ne surprend pas non plus Claude Nicollier. "Les décisions du côté de la Russie sont souvent de ce type, impulsives", rappelle-t-il en soulignant que le précédent directeur de Roscosmos, Dmitri Rogozine, "avait fait des déclarations tonitruantes sans forcément respecter les règles d'un partenariat".
La Russie joue un rôle clé dans le maintien en orbite de la station, mais certains de ses vaisseaux sont affectés par les sanctions occidentales consécutives à l'invasion de l'Ukraine.
Chacun pour tous à bord de la station
Avec ce retrait russe à venir, l'avenir de la Station spatiale internationale s'annonce difficile. "L'élément russe et l'élément américain, auxquels sont accrochés l'élément japonais et européen, et le bras robotique canadien, sont des éléments très interconnectés", explique Claude Nicollier.
Et chacun a besoin de l'autre: "Le segment russe a besoin de l'énergie électrique fournie par le segment américain. Et surtout, la station dans son ensemble, y compris le segment américain, a besoin du système propulsif du segment russe pour maintenir l'altitude de la station", poursuit l'astronaute suisse.
"Et ce qui va se passer exactement, je ne sais pas", dit-il. "Soit l'élément russe va rester accroché à l'élément américain mais sera abandonné puisqu'il n'y a pas d'entraînement des Américains pour opérer le segment russe, soit le segment russe sera détaché et désorbité de façon contrôlée, et les Américains devront alors amener un nouvel élément pour assurer ce contrôle et ce maintien d'altitude. C'est vraiment de grands points d'interrogation".
Les Russes chargés de l'altitude de l'ISS
Quoi qu'il en soit, et jusqu'à leur départ, les Russes ont des obligations. "S'ils veulent remplir leur mandat vis-à-vis du partenariat, ils doivent maintenir l'altitude de la station, puisque c'est actuellement les seuls qui peuvent le faire", constate Claude Nicollier. "Donc ils ne vont pas laisser la station descendre gentiment et la quitter au dernier moment, juste avant qu'elle ne retombe sur Terre. C'est une obligation majeure, et même la seule en fait".
Doutes sur une station entièrement russe
Le patron de l'agence russe Roscosmos Youri Borissov a déclaré que les Russes comptaient créer une "station orbitale russe", qui sera "la principale priorité" du programme spatial national.
Mais Claude Nicollier doute fortement de leur capacité financière pour y parvenir. "D'après les renseignements que j'ai obtenus, il sera très difficile pour la Russie de mettre en orbite une station qui serait construite et gérée par eux-mêmes exclusivement", souligne-t-il.
"Et la situation économique de la Russie est aussi un point d'interrogation. Leurs moyens financiers seront limités", ajoute l'astrophysicien. "Techniquement, ils pourraient le faire, c'est évident. Ils ont beaucoup de talent dans le domaine du spatial. Mais je doute qu'ils aient les moyens financiers pour le faire".
oang avec Aleksandra Planinic et afp
Décision "regrettable" selon Washington
Les Etats-Unis ont estimé que le retrait "surprise" des Russes de la Station spatiale internationale (ISS) après 2024 était "regrettable", a indiqué le porte-parole du département d'Etat. "D'après ce que je comprends, leur annonce publique nous a pris par surprise", a-t-il souligné.
La directrice de l'ISS à la NASA Robyn Gatens a assuré dans la matinée de mardi que son agence n'avait reçu "aucune déclaration officielle" de la volonté des Russes de quitter l'ISS. "Nous allons donc davantage discuter de leurs plans", a-t-elle ajouté.