Invité mercredi de La Matinale de la RTS, Didier Gavillet, responsable du Département de l’énergie et de la sécurité nucléaire à l’Institut Paul Scherrer (PSI) en Argovie, a répondu aux questions qui se posent en matière de sécurité face au risque militaire entourant la centrale ukrainienne de Zaporijjia, la plus grande d'Europe.
- Une explosion du réacteur comme à Tchernobyl est-elle possible à Zaporijjia?
"Une telle explosion n'est pas possible pour des raisons physiques, parce que le réacteur de Tchernobyl était d'un type complètement différent de ceux de Zaporijjia. L'accident de Tchernobyl a été provoqué par une augmentation de la puissance du réacteur, ce qui a provoqué une augmentation de la température de l'eau et du combustible".
"Mais cette augmentation de température provoque dans ce type de réacteur une augmentation de la puissance et vous entrez dans un cercle vicieux qui a conduit à une explosion. Dans les réacteurs de Zaporijjia, une augmentation de la puissance du réacteur va engendre une hausse de la température, mais celle-ci va provoquer une diminution de la puissance et cela ne permet pas une explosion du réacteur".
- Et le risque d'un accident du type de celui de Fukushima?
Un risque tel que Fukushima existe, bien sûr. La différence, c'est que les réacteurs ukrainiens sont équipés d'une enveloppe en béton ['containment'] assez épaisse, prévue pour contenir toute la radioactivité produite lors d'un accident. Deuxièmement, ils ont des systèmes que l'on appelle des 'recombiners', qui permettent de recombiner de l'hydrogène [produit dans ce genre d'accident] en eau. Vous n'avez donc pas de risque d'explosion d'hydrogène comme ce que l'on a connu à Fukushima".
- Est-il exagéré de parler de possible catastrophe nucléaire?
"Cela dépend de ce qu'on appelle catastrophe… Un accident est toujours possible et un accident nucléaire sera toujours une catastrophe. Par contre, les conséquences d'un accident ne peuvent pas être du type de Tchernobyl. La radioactivité devrait rester sur le site de la centrale si tout se passe normalement et à condition que le 'containment' ne soit pas défectueux".
- Quels sont les risques en cas de bombardement?
"Ce 'containement' en béton est conçu pour résister à la chute d'un gros avion, donc une roquette ou une bombe ne devrait pas pouvoir l'endommager de manière significative. A moins que cela soit une attaque coordonnée qui vise à détruire ce 'containment', et c'est toujours possible. Les points faibles d'un réacteur nucléaire sont toujours les mêmes, c'est l'alimentation en électricité et en eau de refroidissement. Donc si vous perdez l'alimentation électrique, ces réacteurs sont équipés de plusieurs moteurs diesel pour produire suffisamment d'électricité afin de refroidir le réacteur, qui doit être arrêté".
"Selon nos informations, la centrale de Zaporijjia aurait sept jours d'autonomie pour le diesel. Et si un seul réacteur est touché, on devrait pouvoir rallonger cette période-là en cas de nécessité. S'il y a une perte d'eau, par exemple si les conduites d'eau entre la rivière et le réacteur sont abîmées ou sont détruites, les systèmes de sécurité ont une réserve d'eau interne suffisante pour maintenir la température du réacteur suffisamment basse pendant un certain laps de temps qui devrait suffire pour organiser une amenée d'eau depuis la rivière. Mais si la centrale est sous attaque militaire, cela devient très aléatoire, c'est clair".
- Y a-t-il un risque de propagation de la radioactivité en cas d’incident nucléaire?
"S'il y a un incident nucléaire et que le 'containment' est abîmé, il y a toujours un risque d'émission de radioactivité. Mais il y a des systèmes de mesure. L'AIEA [Agence internationale pour l'énergie atomique] à Vienne reçoit les informations de ces systèmes de mesure à l'extérieur de la centrale et ils n'indiquent pour l'instant aucune radioactivité. Mais nous serions avertis normalement assez rapidement si jamais de la radioactivité était émise depuis les centrales".
Propos recueillis par Aleksandra Planinic/oang
Alertes de l'ONU et de l'AIEA
Située près de la ville d'Energodar sur le fleuve Dniepr, la plus grande centrale atomique d'Europe possède six des 15 réacteurs ukrainiens, capables d'alimenter quatre millions de foyers.
Elle est passée sous contrôle des troupes russes le 4 mars, peu après le début de l'invasion de l'Ukraine le 24 février.
Moscou et Kiev s'accusent depuis vendredi de la bombarder, sans qu'aucune source indépendante ne puisse confirmer. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a brandi le spectre de la catastrophe de Tchernobyl.
"Toute attaque contre des centrales nucléaires est une chose suicidaire", a prévenu lundi matin le secrétaire général de l'ONU António Guterres. L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) avait jugé samedi "de plus en plus alarmantes" les informations en provenance de Zaporijjia.
Les Russes "endommagent" les lignes électriques
Les forces russes qui occupent la centrale préparent son raccordement à la Crimée, a alerté mardi l'opérateur ukrainien.
"Pour ce faire, il faut d'abord endommager les lignes électriques de la centrale reliées au système énergétique ukrainien. Du 7 au 9 août, les Russes ont déjà endommagé trois lignes électriques", a indiqué le président d'Energoatom, Petro Kotin, à la télévision ukrainienne.
"En ce moment, la centrale fonctionne avec une seule ligne de production, ce qui est un mode de travail extrêmement dangereux", a-t-il précisé.
"Lorsque la dernière ligne de production sera débranchée, la centrale sera alimentée par des groupes électrogènes fonctionnant au diesel. Tout dépendra alors de leur fiabilité et des stocks de carburant", a-t-il prévenu.