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De mystérieuses explosions sur une base militaire de Crimée provoquent des interrogations

Plusieurs explosions ont eu lieu sur la base militaire aérienne russe de Saki, sur la côte ouest de la Crimée. [Reuters]
Plusieurs explosions ont eu lieu sur la base militaire aérienne russe de Saki, sur la côte ouest de la Crimée. - [Reuters]
Mardi, une base aérienne de l'armée russe en Crimée a été touchée par une série d'explosions, faisant au moins un mort. Depuis, plusieurs experts s'interrogent sur cet événement. Si Kiev nie être l'auteur d'une attaque, la thèse accidentelle avancée par Moscou ne convainc pas tout le monde.

Saki est une base aérienne clef, située dans la péninsule de Crimée occupée, et d'où partent régulièrement des avions de chasse russes pour effectuer des attaques sur le théâtre d'opération du sud de l'Ukraine.

La base aérienne russe de Saki se trouve dans l'ouest de la péninsule de Crimée. [Google Map - RTS]
La base aérienne russe de Saki se trouve dans l'ouest de la péninsule de Crimée. [Google Map - RTS]

A la stupeur générale, une série d'explosions a frappé mardi les infrastructures de ce site normalement extrêmement sécurisé, faisant penser que Kiev avait réussi à frapper de manière très significative le territoire occupé par Moscou depuis 2014.

Très tôt après l'incident, les responsables russes sur place ont d'ailleurs décidé d'élever le niveau de menace terroriste dans la région, confirmant indirectement la possibilité d'une opération ukrainienne. Pourtant, Kiev n'a pas confirmé une quelconque intervention et Moscou a par la suite expliqué que des dépôts de munitions avaient explosé de manière accidentelle.

>> Revoir à ce sujet le reportage du 19h30 :

Annexée par la Russie en 2014, la Crimée a été le théâtre de plusieurs explosions. Décryptage.
Annexée par la Russie en 2014, la Crimée a été le théâtre de plusieurs explosions. Décryptage. / 19h30 / 2 min. / le 10 août 2022

De multiples versions

Officiellement, les responsables ukrainiens n'ont donc pas revendiqué d'attaque. Le ministère ukrainien de la Défense a même ironisé dans un communiqué, en rappelant au personnel russe présent sur la base que dans certains endroits précis, il était interdit de fumer.

Sous couvert d'anonymat, un haut responsable militaire ukrainien a toutefois confié au New York Times que ces explosions étaient le fruit d'une attaque qui impliquait des résistants fidèles au gouvernement de Kiev et basés en Crimée. Il n'a toutefois pas développé davantage, ni révélé si ces forces avaient directement participé à une action de sabotage, ou si elles avaient aidé des forces régulières à cibler la base aérienne.

S'il reste impossible en l'état actuel de confirmer de manière indépendante ces versions, l'Ukraine s'est de plus en plus tourné vers une guérilla basée dans les territoires occupés par la Russie, pour cibler divers dépôts de munitions ou autres postes de commandement, notamment dans la région de Kherson (sud).

Autre indice, Margarita Simonyan, la rédactrice en chef du journal d'Etat russe Russia Today, a semblé suggérer dans un tweet que ces explosions avaient été causées par un sabotage. Elle s'est ensuite rétractée pour s'aligner sur la version officielle du Kremlin.

De nouveaux missiles longue portée?

Si elle était avérée, l'attaque ukrainienne sur une base russe de Crimée représenterait une évolution significative dans les moyens offensifs de Kiev. Jusqu'à présent, en effet, l'Ukraine s'était majoritairement contenté de repousser les forces russes des territoires pris depuis le début de l'invasion, le 24 février dernier.

L'armée ukrainienne ne dispose a priori que de peu d'armes capables d'atteindre cette base de Crimée, située à plus de 170 kilomètres de la ligne de front du sud de l'Ukraine. Pour s'en approcher suffisamment, des avions auraient pu être utilisés mais auraient pris l'énorme risque d'être abattus sur le champ par les solides défenses anti-aériennes russes disposées sur la péninsule.

Depuis les explosions, les spéculations vont bon train. L'une des versions avancées veut que les forces ukrainiennes auraient pu compter sur de nouveaux missiles américains de plus longue portée. Lundi, un porte-parole du Pentagone avait en effet confirmé que les Etats-Unis avaient déjà fourni un certain nombre de ces armes à l'Ukraine, sans toutefois en préciser le prototype.

Une nuage de fumée aperçu depuis la plage de Saky, en Crimée, après que des explosions ont été entendues en provenance d'une base militaire aérienne russe. [Keystone - AP]
Une nuage de fumée aperçu depuis la plage de Saky, en Crimée, après que des explosions ont été entendues en provenance d'une base militaire aérienne russe. [Keystone - AP]

La fin d'une vie tranquille en Crimée?

Fidèle à ses habitudes depuis le début de la guerre, la propagande russe a quoi qu'il en soit voulu minimiser l'impact de cette attaque, en niant toute perte matérielle. Des images diffusées sur les réseaux sociaux montrent toutefois une autre réalité, avec des dommages importants et notamment la destruction d'avions bombardiers.

D'après l'armée de l'air ukrainienne, au moins 9 avions russes auraient été détruits au cours de ces explosions.

Pour Justin Bronk, chargé de recherches au Royal United Services Institute for Defence and Security Studies, un think tank britannique spécialisé dans les questions de défense, l'hypothèse la plus probable n'est toutefois pas celle d'un missile longue portée. D'après lui, les forces ukrainiennes ont sans doute réussi à frapper la base avec une munition assez petite, ou plus probablement avec un drone explosif, appelé également drone kamikaze, comme à Sébastopol le 31 juillet dernier.

"Mais cette fois, ils ont eu de la chance et ont sans doute percuté un avion ou un camion-citerne stationné, déclenchant un incendie", explique-t-il sur Twitter. "Les forces aérospatiales russes ont la mauvaise habitude de laisser des tas de munitions à côté des avions stationnés, y compris ceux qui sont ravitaillés et armés. Ma théorie est donc que le projectile ou les saboteurs ukrainiens sur place ont provoqué un incendie de carburant, qui a par la suite provoqué ces explosions", ajoute le spécialiste en technologie militaire.

Simple accident, tirs de missiles longue portée ou action de sabotage. Rien n'est encore démontré pour l'instant. Pourtant, la Crimée, elle, est déjà sérieusement impactée. Souvent décrite comme une "terre sacrée" par Vladimir Poutine, elle avait depuis 2014, et plus symboliquement encore depuis le 24 février dernier, échappé grandement aux affres de la guerre.

Mardi, les explosions sur la base militaire de Saki ont fait l'effet d'un électrochoc. Les vacanciers russes qui considéraient la Crimée comme une station balnéaire tranquille ont sans doute changé d'avis.

Quelques heures après les explosions, des vidéos montraient d'ailleurs déjà des embouteillages denses se formant, de nombreuses personnes voulant tout simplement quitter la région au plus vite. De son côté, le président ukrainien Volodymyr Zelensky promettait, lors d'une nouvelle intervention, la reprise en main de ce territoire par l'Ukraine, un jour ou l'autre.

Tristan Hertig

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